Dans son avant propos, André Gounelle situe l’enjeu de son travail. Il écrit :
« Pour moi, Dieu est avant tout une présence. Cette présence m’accompagne, m’habite et m’anime ; elle me bouscule et m’apaise ; elle m’apporte en même temps réconfort et exigence. Je la sens avec plus ou moins d’intensité selon les temps. À certains moments, elle a une grande force, à d’autres elle semble s’éclipser presque jusqu’à s’évanouir, mais, en fin de compte, elle demeure, persistante et insistante, discrète et tenace. Comme toute expérience, cette présence sollicite la pensée ; elle demande à être cernée, analysée, scrutée, évaluée et comprise aussi rigoureusement que possible. Dieu est donc aussi pour moi objet de travail et de réflexion (fides quaerens intellectum, écrivait au XIe siècle Anselme de Cantorbéry dans le Proslogion), et cette réflexion vient nourrir, enrichir, parfois modifier l’expérience qui l’a suscitée.
L’évêque anglican John Robinson (1919-1983), dont on a beaucoup parlé dans les années 1960, a écrit qu’il n’était pas un « chercheur », mais un « explorateur » de Dieu. Je me reconnais assez bien dans cette distinction. Dieu s’est imposé et continue à s’imposer à moi. Il en est ainsi, je n’y puis rien. Je n’y vois ni une supériorité qui me conférerait une quelconque autorité, ni un défaut qui rendrait suspecte ma réflexion. Par contre, si je ne suis pas en quête de Dieu, j’éprouve le besoin d’une compréhension ou d’une intelligence de Dieu. À la différence de beaucoup de ceux qui affirment ou nient son existence, je ne prétends pas savoir qui il est ou ce qu’il est. Sa présence ne me le rend pas moins mystérieux ou énigmatique ; je m’efforce de l’« explorer », tel un géographe en voyage dans une terra incognita qu’il n’a pas à chercher (elle est là), mais à parcourir et à cartographier.
Plusieurs livres ont jalonné mon exploration : Après la mort de Dieu (1974, réédition avec postface, Paris, Van Dieren, 1999) ; Le Dynamisme créateur de Dieu (1980, réédition revue, corrigée et complétée, Paris, Van Dieren, 2000) ; Parler de Dieu (1998, réédition augmentée et corrigée, Paris, Van Dieren, 2004). J’y ai exprimé des idées et des convictions que les années n’ont pas érodées ni beaucoup transformées. Elles restent vives et je les porte en moi aujourd’hui tout autant et avec à peu près les mêmes formulations et argumentations que naguère. Je ne considère nullement qu’elles correspondraient à des étapes de ma réflexion que des cheminements ultérieurs m’auraient amené à dépasser. Pourtant aucun des ouvrages que je viens de citer ne me satisfait et il en était déjà ainsi quand je les ai fait paraître ; aussi ai-je éprouvé le besoin de les modifier peu ou prou tous les trois quand Patrick van Dieren a entrepris de les rééditer. Et j’ai conscience qu’il faudrait à nouveau et sans cesse les reprendre, les retoucher, les améliorer, les compléter dans un processus toujours inachevé.
Même si elle a un côté frustrant, cette insatisfaction me paraît normale et heureuse. S’il en allait autrement, si ce que j’ai écrit (ou ce que d’autres ont écrit) me paraissait suffisant, la notion de Dieu, même soigneusement, intelligemment et respectueusement élaborée, aurait capturé et étouffé sa présence ; j’aurais remplacé le vivant par un concept, une image ou une idole qui l’enfermerait et le déformerait. Il me faut penser et dire Dieu parce que j’éprouve sa présence ; mais précisément parce qu’il s’agit d’abord d’une présence et non seulement d’un objet d’étude, je n’arriverai et personne ne parviendra jamais à le penser jusqu’au bout ni à en dire quelque chose qui soit pleinement adéquat. Il subsiste « nécessairement en lui quelque chose d’irréductiblement et de logiquement inexplicable », écrit le théologien et philosophe ErnstTroeltsch (1865-1923).
Dieu n’est pas un dossier qu’on puisse fermer un jour parce qu’on en aurait fait le tour. Après la publication de Parler de Dieu, j’ai continué à travailler, à réfléchir et à écrire. J’ai lu, j’ai écouté des conférences et des prédications, j’ai participé à des discussions, j’ai aussi rédigé de petits articles à diverses occasions.Tout cela se cristallise dans le présent ouvrage. J’y ai évité autant que possible de répéter ce que j’ai écrit ailleurs (tout en renvoyant parfois à mes publications antérieures) ; je ne reviens pas (ou ne reviens que peu) sur certains points importants qui me sont chers : ainsi celui de la puissance de Dieu, qui n’est ni toute-puissance ni impuissance (voir mon article « Quelle puissance ? » dans Laval théologique et philosophique, 2006) ; ou celui de la création qui renvoie à une relation permanente et non à une origine (voir le chapitre sur la création dans mon livre Penser la foi) ; ou celui du Christ, non pas Dieu mais théo- phore, c’est-à-dire porteur de la parole, de l’action et de la présence divines (voir mon livre Parler du Christ ) ; ou la critique de la conception théiste de Dieu et la recherche, sur les traces de Paul Tillich (1886-1965)et des théologiens du Process, d’une autre conceptualité plus adaptée(mais loin d’être parfaite) pour le penser ; etc. J’en ai parlé ailleurs et je n’entends pas ici récapituler mes écrits précédents, mais les préciser… »
Leave a Comment