1942, je suis au grand séminaire de Marseille qui compte à peu près 80 séminaristes de 18 à 30 ans. Nous venons de prendre connaissance du décret des Allemands enjoignant à tous ceux qui sont nés en 1922, de partir en Allemagne pour travailler à la place des soldats. Nous sommes 17 séminaristes concernés. Bien sûr, cela discute : le maquis, l’Afrique du Nord…, jusqu’à Noël 1942.
A ce moment-là, nous étions dans un office à la cathédrale de Marseille et l’évêque du lieu Mgr Delay, a proclamé en s’adressant aux séminaristes « Votre devoir est de vous soumettre au gouvernement français donc de partir en Allemagne (Mgr Delay était un pétainiste convaincu : Maréchal nous voilà !).
A cette époque, j’étais soumis et obéissant (ou bête et discipliné) et nous sommes partis à vrai dire dans une espèce d’enthousiasme naïf et missionnaire décidés à porter témoignage et aussi avec la curiosité de nous tester nous-mêmes en dehors du cocon clérical.
Nous sommes partis pour l’Allemagne et en ordre dispersé dans des coins différents. Nous nous retrouvons avec 5 collègues au fin fond de la Silésie à Breslau, affectés à une usine de métaux pour la fabrication des obus de la Wehrmacht.
Pour ma part, j’étais démouleur de nuit (de 4h du soir à 4h du matin), chargé de casser à coup de masse, les coulées de fonte aciérées qui rattachaient les obus entre eux. Ils nous avaient mis des masses à manche en fer et ceux qui ont maniés ainsi de tels outils savent de quoi je parle. Des ingénieurs sont venus nous inspecter et jugeant que l’on manquait d’ardeur, l’un d’entre eux a pris ma masse. À la première frappe, il s’est retrouvé à terre et l’outil a frôlé la cheville d’un de ses collègues. Nous n’avons jamais plus été inspecté.
Tant bien que mal, on a tenu le coup jusqu’en février 45 après le débarquement en Normandie et l’avance des Russes en Pologne. Alors, avec une dizaine de copains, la plus-part cultivateurs et paysans, on décide de s’évader. A la nuit tombante nous quittons Neuslaz en essuyant quelques coups de feu et nous passons l’Oder.
Nous nous planquons dans une baraque de prisonniers français qui l’avaient évacué.
Le 15 février, les Russes occupent le terrain. C’était les troupes de choc (rien à voir avec les enfants de Marie) qui nettoyaient le terrain pour l’avancée des troupes russes.
Comme les troupes de choc ne se gênaient pas pour tuer, incendierNo arrêtent et nous mettent dans des trains… les habitants avaient fuit et c’était le pillage organisé. Les copains paysans avaient réquisitionné 4 charrettes et 8 chevaux et nous des provisions, vêtements en pagaille (comme on dit dans le midi).
Nous partons vers la Pologne dans le style des Westerns avec nos équipages. Nous nous arrêtions dans les fermes isolées pour nous occuper des chevaux, manger et dormir. Notre vie de cowboy ne dura pas longtemps. Les soviétiques nous arrêtent, prennent charrettes et chargement et nous forcent à embarquer dans des trains surbondés dans la neige et le froid.
Charriés de ville en ville avec des queues interminables pour de repas problématiques.
En mai 45, nous arrivons enfin à Czeschtorowa (c’est la « Lourdes » polonaise). Hébergés de force dans un appartement de jeunes filles professeurs de piano. Nourris de blé cuit, nous allions cependant très souvent à la messe à la cathédrale de Czeschtorowa. On avait droit ensuite à un petit déjeuner ultra-copieux. Quelles étaient nos parts de ferveur religieuse et de besoin gastronomique, je n’ai jamais approfondi.
En juin, nous sommes embarqués de nouveau dans les wagon à bestiaux pour l’Ukraine : Odessa, point de départ vers la France.
Nous arrivons à Berditchev dans un camps pour les Français où se trouvent des prisonniers Lorrains. En écoutant le récit de leurs évasions ou périples, en comparaison, la nôtre était une promenade de santé. Comme nourriture, nous avons droit chaque jour au même menu : millet matin et soir. C’était mangeable et puis nous avions faim.
Régulièrement, on nous annonçait notre départ pour la France, jusqu’au jour où nous avons appris que le port d’Odessa était définitivement fermé pour les rapatriements.
Restaient le chemin de fer et les wagons à bestiaux ou nous pouvions nous entasser.
En juillet, nous repartons vers la France via la Pologne et Berlin. Quand on s’arrêtait pour laisser la voie libre à l’armée, on ne savait pas si c’était pour une heure ou une semaine. Nous étions ravitaillés n’importe comment avec n’importe quoi.
Arrivés à Berlin, logés dans d’anciens tramways, nous avons pu assister le 14 juillet au défilé des troupes Françaises à la porte de Brandebourg.
Notre « clan » se signalait dans le métro berlinois par ses chahuts, ses chants et ses fous-rires.
Nous attendions de pouvoir passer de la zone Russe à la zone Américaine puis française. Quand les camions sont arrivés, j’étais allongé par terre avec une crise d’antlérite carabinée et j’ai assisté à une scène déchirante : à peine le tiers des personnes pouvaient y monter. Ce fût la ruée. Les gens piétinaient les mains des gosses écrasés à coup de pied : ça sent si bon la France.
Le retour s’effectue dans une sorte de rêve : en Belgique et en France, à chaque gare où les trains s’arrêtaient, nous étions attendus, réconfortés, soignés.
L’arrivée à Marseille dans les bras de ma mère qui m’a dit : « On dit que les voyages forment la jeunesse, tu aurais pu être formé autrement. » J’ai repris mon chemin (ma vocation) comme on dit) et c’est plus tard que j’ai connu l’église protestante grâce à André Pierredon et j’ai viré de bord.
Émile Mihière
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