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L’engagement politique des chrétiens selon Karl Barth

L’engagement politique de Karl Barth (1886-1968) et la réflexion qui l’a accompagné peuvent encore être médités aujourd’hui pour nous aider à éviter le double écueil de la dépolitisationde ceux qui disent que l’Évangile n’a rien à voir avec la politique et de la surpolitisationde ceux qui disent que tout étant politique, l’Évangile nous incite à nous engager politiquement. Alors, qu’à l’âge de 29 ans, il occupe son premier poste pastoral à Safenwil, un petit village du canton suisse d’Argovie de moins de mille habitants dont la population d’origine rurale est devenue ouvrière à la suite de l’installation de trois usines textiles dans le village, Barth adhère au parti social-démocrate, décision qu’il justifie ainsi : « J’ai adhéré au SPD parce que je m’efforce, dimanche après dimanche, de parler des choses dernières, il ne m’apparaissait plus possible de planer personnellement dans les nuages au-dessus de ce monde mauvais, mais il fallait que soit maintenant montré que la foi dans le Très-Haut n’exclut pas, mais inclut, le travail et la souffrance au sein même de la réalité parfaite ».

Cela ne l’empêche pas de critiquer ses amis comme Leonhard Ragaz, fondateur du mouvement du christianisme social (Religiös-Sozial), qu’il qualifie de « christianisme du trait d’union chrétien » (Bindestrich-Christentum). En amalgamantle christianisme et le socialisme, et en cherchant à appliquer les principes de Jésus à toute la vie publique, les socialistes religieux se trompent et ne se donnent pas les bons leviers d’action. Barth veut distinguer le monde de Dieu et le monde des hommes et les articuler selon un rapport dialectique. « Plus Dieu est Dieu, plus le monde est le monde – déclarera-t-il, dans une fameuse conférence des socialistes religieux de Tambach en 1919 – ; plus Dieu est le “Tout Autre”, plus il résiste au monde, plus le monde est travaillé de l’intérieur et poussé à devenir autonome. Ce que nous voulons, c’est comprendre la grande inquiétude que Dieu suscite dans l’homme et le profond ébranlement des fondements de ce monde qui en résulte ».

Aussi Barth justifie-t-il son engagement de type laïc et non de type religieux dans un parti politique afin que la politique ne récupère jamais le chrétien qui reste libre de ses paroles et de ses actes. N’oublions pas aussi que cette position paradoxale a été forgée au lendemain de la Première Guerre mondiale alors que Barth s’était également opposé aux protestantsbellicistes qui en 1914, avaient mis à leur manière un train d’union entre la nation allemande et la guerre et qui la justifiaient théologiquement.Il réaffirmera cette position tout au long de son existence. En 1933, alors qu’Hilter a pris le pouvoir en Allemagne, Barth qui était professeur de théologie à Bonn, s’oppose aux Chrétiens allemands, les Deutsche Christenqui soutenaient la révolution nationale des Nazi en prônant un « christianisme positif » (Positives Christentum), une autre forme de trait d’union chrétien.Hitler n’avait-il pas affirmé le 31 janvier 1933 : « le gouvernement du Reich prendra le christianisme comme base de toute notre morale, la famille comme noyau de notre peuple et l’État leur assurera sa ferme protection ». Et, lorsque le 24 juin 1933, Hitler prend des mesures nécessaires pour l’« unification l’Église », Barth rédige un manifeste intitulé « L’existence théologique aujourd’hui » (Theologische Existenz heute) dans lequel, tout en se plaçant sur le strict plan pastoral et théologique, il dénonce successivement le type de réforme ecclésiastique qui est proposé, la perspective de la nomination d’un évêque protestant du Reich, les Deutsche Christenqu’il rend responsable de toutes les dérives de l’heure, et écrit : « Là où l’on comprend que Jésus-Christ, et lui seul, est conducteur (Führer), là est une véritable existence théologique […]. Là où il n’y a pas d’existence théologique, là où l’on réclame un conducteur ecclésiastique au lieu d’être un conducteur dans le service qui nous est commandé, là tout appel à un Führerest aussi vain que le cri des prêtres de Baal : “Baal, entends-nous ! »

Enfin le célèbre du synode clandestin de l’Église confessante à Barmen en 1934 affirme : « Nous rejetons la fausse doctrine selon laquelle, en plus et à côté de cette seule Parole de Dieu, l’Église pourrait et devrait reconnaître d’autres événements et pouvoirs, personnalités et vérités, comme Révélation de Dieu et source de sa prédication ».

Ce genre de déclaration a été formulée dans un état de crise où les missions respectives de l’État et de l’Église risquaient de se nuire et se confondant. Nous ne connaissons plus cette situation en Europe occidentale depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Nous avons néanmoins constamment besoin de préciser comment ces missions respectives peuvent s’articuler dans un temps où la « séparation » des Églises et de l’État pourtant établie depuis la loi de 1905 ne doit impliquer ni le cantonnement, ni l’isolement de ces deux sphères. La laïcité qui régit leur relation implique le dialogue, la concertation, l’interpellation comme cela se produit dans les instances consultatives de la république sur un certain nombre de grands sujets de société auxquelles des représentants des cultes appartiennent. Quant aux deux identités de citoyen et de paroissien, de la personne du croyant, elles doivent également s’articuler selon la perspective esquissée par la décision prise par le synode national de l’Église réformée de France consacré aux étrangers à Rezé-les-Nantes en 1998 : « Si nous voulons relever les enjeux de la laïcité, les deux citoyennetés spirituelle et séculière ne doivent pas être confondues, ni séparées, mais doivent s’interpeller mutuellement. Le croyant n’est pas seulement référé à une autorité séculière ou seulement à une autorité spirituelle, mais il se tient à l’intersection de deux lieux de l’autorité qui sont en tension et en interaction. On ne saurait, sans danger, abandonner l’un au profit de l’autre. » Karl Barth n’aurait pas dit autre chose.

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Jean-François Zorn

Jean-François Zorn a passé sa jeunesse en Franche-Comté. En 1971, il obtient sa licence en théologie à la Faculté de théologie protestante de Montpellier et sa maîtrise en sociologie à l'université Paul-Valéry de Montpellier. Il est l’auteur du premier travail universitaire en français sur le penseur anticonformiste Jacques Ellul. Dans le cadre du Service national en coopération, il part avec son épouse à la découverte de l’Afrique en tant que professeur de philosophie au Collège protestant de Lomé au Togo (1970-1973).

De 1973 à 1979, il est pasteur de l’Église réformée de France à Pau où il dirige le Centre rencontre et recherche. De 1979 à 1989, il occupe divers postes au Service protestant de mission (Défap) dont celui de secrétaire général. De 1988 à 1994, il est chargé de cours de missiologie à la Faculté de théologie protestante de Paris, à l’Institut catholique de Paris et à la Faculté de théologie catholique de Lyon.

De 1989 à 1994, il est coordonnateur des stages de formation permanente des pasteurs au titre du Conseil permanent luthéro–réformé (CPLR) et secrétaire de la coordination nationale « Edifier-Former » de l’Église réformée de France.

En 1992 il soutient sa thèse de doctorat en histoire religieuse à l’université Paris-Sorbonne sous la direction de Jean Baubérot sur le sujet : Le grand siècle d’une mission protestante. La Mission de Paris de 1822 à 1914.

En 1994 il est nommé maître de conférence en théologie pratique à l’Institut protestant de théologie – Faculté de Montpellier. En 2004, à la suite de son habilitation à diriger des recherches il devient professeur d’histoire du christianisme à l’époque contemporaine jusqu’en 2011.

Jean-François Zorn, né le 11 mars 1946 à Lausanne, est un historien et un théologien protestant français. Ses travaux couvrent des champs variés comme l’anthropologie, la sociologie et l’histoire du christianisme à l’époque contemporaine, spécialement la missiologie.
Spécialiste de l’histoire du protestantisme et de la missiologie, il est actuellement directeur honoraire du Centre Maurice-Leenhardt de recherche en missiologie qu’il a cofondé en 2006, et chercheur associé membre du Centre de recherches interdisciplinaires C.R.I.S.E.S. de l’université Paul-Valéry Montpellier III.

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