Jacqueline Olivès-Chaudieu est la fille du pasteur résistant et maquisard Laurent Olivès
Mon père m’a transmis son histoire naturellement sans grands discours. En effet, dès ma petite enfance, lorsque j’avais 5 ans et demi en février 1944, son histoire est devenue la mienne. Lorsque le village d’Ardaillès a été attaqué par les Allemands, à la recherche du maquis monté par mon père.
J’ai eu peur qu’il soit pris car l’institutrice de l’école m’a vue me lever et crier : « Je ne veux pas qu’ils prennent mon papa ! ». Pourtant mes parents ne m’avaient pas mis au courant de ses activités.
J’avais compris, déjà.
La transmission se fera plus tard, d’abord par les livres qui sont à la maison, puis par ceux que j’achèterai ou par ceux que l’on m’a offerts car l’histoire m’intéresse. Enfin quand nous nous retrouverons en Cévennes, pour des vacances, les lieux vont permettre de comprendre et de revivre mentalement les événements que mon père nous racontera sur place.
Il le fera aussi avec ses petits-enfants avec des anecdotes.
Ce que je retiens alors c’est le courage de cet homme et de ma maman que je ne veux pas oublier. Laurent Olivès savait convaincre et entraîner. On dirait aujourd’hui : « il avait un certain charisme ».
Sur les lieux faits de forêts, de causses très chauds en été, glacés en hiver, je comprends ce qu’il a vécu. Je l’imagine, marchant de nuit, pour porter des messages vers les réduits ou sur les lieux de parachutages avec la peur d’être pisté, arrêté.
Son courage physique et Sa foi inébranlable le portent. Il insistait sur le fait de ne rien écrire, il retenait tout de mémoire. Prudent, pouvant cacher toutes ses émotions, même lorsqu’il sera arrêté par les Allemands avec de faux papiers (bien sûr) et maquillé en paysan et qu’ils lui demanderont s’il sait où est le pasteur Laurent Olivés ! « Je crois qu’il est reparti dans sa famille en Algérie », répondra-t-il !
Autre chose, il n’aimait pas les militaires ni les gens « de pouvoir ». Il nous disait d’être humbles et simples là où nous serions en responsabilité (dans le travail ou les associations par exemple). Il avait refusé la légion d’honneur mais avait accepté la médaille de la résistance et la reconnaissance de « Juste parmi les nations » pour lui-même, maman et les habitants de sa paroisse.
Il voulait être libre de penser – même dans le cadre de l’Église Réformée – et de prendre, en son propre nom, des engagements politiques – (Affaire de Tunisie)
Il disait : « J’ai marché par la foi ! »
C’est ce que j’ai voulu aussi pour moi : faire ce que j’ai cru bon et juste de faire et avec simplicité. Ne pas se faire prévaloir de lui, jamais. Je n’étais pas « la fille de ». Je voulais être « moi » avec ce que je pensais dans ma vie, dans mon temps, une autre époque, et d’autres combats à mener.
J’ai apporté ma pierre à Amnesty International durant plusieurs années et en responsabilité. J’ai accueilli, avec d’autres, des migrants, pour le FLE. J’ai pris des responsabilités dans l’Église ensuite. Mes engagements sont venus ainsi naturellement et sans obligation, bien sûr, tout en élevant nos enfants. J’ai témoigné auprès de classes primaires et secondaires lorsqu’on me le demandait (trop peu à mon avis).
La trace qu’a laissée mon père dans ma vie ?
C’est le courage d’être soi, d’être en accord avec ce que je pense, ne pas s’esquiver – être là où l’on doit se trouver – lorsque la société semble oublier ce que les résistants, les protestants, nos pères et aïeux ont fait pour nous, pour leurs enfants, pour l’humanité, enfin.
La peur de petite fille a fait place chez moi à une grande confiance. Par exemple, je peux parler devant un public sans peur. Cette confiance que mes parents nous ont apportée en « héritage », et qui m’aide aux jours difficiles, me garde debout dans mon vieil âge.
Mes choix étaient différents, bien sûr, mais leur exemplarité m’a fait grandir et m’a fortifiée.
Jacqueline Olivès-Chaudieu
Lucie & Raymond Aubrac : Dès 1941 Laurent Olivès, pasteur à Valleraugue, mit en place un réseau pour protéger et cacher des proscrits et des Juifs. En 1943, révolté par la violence des troupes d’occupation et de la Milice, il fonda, à Ardaillès, le maquis de la Soureilhade qui fusionna ensuite avec celui de Lasalle pour devenir le maquis Aigoual-Cévennes.
Dans ses souvenirs il aborde sans hésitation et sans tabous le quotidien des maquisards et des habitants d’Ardaillès et de la région. Il décrit comment, avec l’aide de ses paroissiens et d’autres pasteurs du plateau cévenol, il organisa l’hébergement, la subsistance et la protection des réfugiés. Toujours direct, Laurent Olivès pratique ses convictions religieuses avec passion mais ne laisse aucune doctrine brider son humanité et son bon sens.
Laurent Olivès et sa femme Suzanne qui l’assista dans toutes ses activités furent nommés « Justes parmi les Nations » pour leur engagement dans le sauvetage de plusieurs familles juives.
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