Depuis la rentrée 2014-2015, Guilhen Antier occupe à la Faculté de théologie de Montpellier la chaire de Théologie systématique. Quand on l’interroge sur ce qu’il considère comme le grand défi de notre monde d’aujourd’hui, il répond sans hésitation : « le sujet »
Le diagnostic du jeune théologien est sans appel, c’est la société qui rend le sujet malade. Malade parce que tout est marchandise et le sujet comme tout le reste en devient une. Malade parce qu’on « est en permanence dans l’injonction de se fabriquer soi-même« , et qui plus est de se fabriquer beau, puissant, sans faille. Malade encore parce que dans la société du sujet-roi, tout conduit l’individu à penser qu’il est un sujet sans lien, un sujet sans appartenance. La grande question pour Guilhen Antier, c’est alors de savoir « comment permettre à l’être humain de demeurer un sujet ? Pas un objet. Pas une marchandise. Pas un ordinateur. Comment peut-on continuer de témoigner, en tant que théologien, chrétien ou ministre, en contribuant à défendre la catégorie du sujet ? Pour moi, c’est tout à fait essentiel ! »
La centralité du sujet comme préoccupation intellectuelle, existentielle, spirituelle, c’est assurément, chez Guilhen Antier, le fruit d’un itinéraire personnel qui, très tôt, révèle chez lui le goût de l’approfondissement et de la réflexion. Issu d’une famille engagée dans l’Église, en Corse puis à Toulon, il se définit lui-même comme « un bon petit protestant, baptisé à l’Assemblée du Désert en l’année de ma naissance, catéchisé et confirmé dans l’Église réformée« . Il arrive à la Faculté de théologie à 17 ans, juste après le bac. « Je n’avais rien fait avant. J’ai fait la rentrée 97-98. Du coup, ça a été une véritable découverte. Une sorte de virus qui ne m’a jamais lâché…« . L’enseignement de ses professeurs le marque fortement, celui de Jean-Daniel Causse en particulier. Il souhaite alors approfondir les articulations entre la théologie et la psychanalyse, c’est ainsi qu’avant de faire son stage en paroisse en cinquième année, il s’inscrit à l’Université Paul Valéry et réalise un DEA en psychanalyse.
Nourri par cette solide formation, il s’engage ensuite dans le ministère pastoral, d’abord à Bergerac pendant deux années de proposanat et puis à Dijon, pendant sept années, dans une paroisse de ville et de grande dissémination. » J’ai toujours eu à cœur de concevoir le ministère pastoral comme théologien. Que ce soit sur la prédication, les études bibliques, la catéchèse pour adultes, etc. j’ai essayé de mettre la réflexion théologique au service du plus grand nombre ». Appelé ensuite comme professeur à Montpellier, il finalisera pendant deux années sa thèse sous la direction de Jean-Daniel Causse ; une thèse double sceau, reconnue par l’IPT et par l’Université Paul Valéry. Son enseignement reste marqué par le ministère pastoral. « Pour moi, la systématique reste articulée à l’herméneutique… J’ai toujours aimé décortiquer le texte biblique« .
La question du sujet, elle est certes le fruit d’un parcours mais elle est aussi le fruit de rencontres. Ce sont les rencontres que Guilhen Antier va faire avec de grands auteurs et notamment avec Ricœur, Kierkegaard, Lacan. Mais la toute première rencontre, celle qui fut déterminante, elle intervient dans le cours d’Hubert Bost en première année de théologie avec Martin Luther. « J’avais déjà entendu le nom de Luther, mais je me suis rendu compte que je ne connaissais absolument rien à la théologie protestante. Pour moi, ça a été un choc. Vraiment une découverte ». Luther, c’est celui qui replace le sujet au centre de tout. Dans le contexte d’un Moyen-Âge finissant où l’individu est assujetti à des puissances qui écrasent le corps autant que l’esprit, Luther restitue l’homme médiéval dans sa capacité à pouvoir vivre comme un sujet. C’est le début de la modernité. L’homme est sujet de sa foi et de sa relation avec Dieu. Il est sujet dans ses décisions vis à vis des puissants. Il est un sujet qui se sait précédé et en relation avec d’autres. Découvrir Luther, Guilhen Antier le décrit comme un chemin de Damas.
Aujourd’hui, notre théologien structure sa recherche et son enseignement autour de trois axes : le sujet, le langage, la temporalité. Dans le sillage de Luther, la grande leçon est celle de savoir comment rester un sujet ? Avec Lacan, le sujet devient parole. La question devient alors comment donner la parole au sujet ? Comment interpréter les parcours, les histoires personnelles ou collectives, quelle interprétation des textes bibliques ? Guilhen Antier insiste beaucoup sur la question herméneutique. « J’ai toujours aimé décortiquer le texte biblique. Aussi bien dans mon mémoire de maîtrise que dans ma thèse, j’ai eu des chapitres bibliques. Pour moi, c’est toujours un travail d’articulation« . Dans la fidélité avec tout l’apport de Ricœur, intervient par ailleurs la dimension de la temporalité : comment rester en lien avec l’histoire, quelle place pour la mémoire ? Comment vivre une temporalité qui ne refermerait pas sur le présent mais qui serait ouverte sur les passés et les futurs ? « On découvre des textes, dit-il, des auteurs, des éléments, qui font un peu tilt. Et puis après, il faut s’en emparer, se les approprier et tracer sa voie« . Guilhen Antier trace en effet sa voie. Il a accepté de parler à Sète sur le thème des défis anthropologiques. Il a intitulé lui-même son intervention autour de la question : « Quels enfants pour notre avenir ?« . Dans cet intitulé, tout est là : le sujet, le langage, la temporalité. On a vraiment hâte de l’entendre !
Alain Rey
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