Cet ouvrage a été édité en Allemagne à la fin de l’année 1847, un an donc avant l’abolition de l’esclavage en France. Une traduction française vient d’en être récemment publiée par des universitaires de La Réunion.
Son auteur, Gustav Oelsner-Monmerque, est le fils d’une mère française et d’un père allemand. Il part pour L’Île Bourbon (Île de La Réunion) en 1842 et y séjournera jusqu’en 1845. Au cours de son bref séjour dans ce contexte colonial, il exprime des idées progressistes qui dérangent la classe locale dirigeante. A son retour en Allemagne, il va poursuivre son combat pour l’abolition de l’esclavage à travers divers articles, conférences, communications et, tout particulièrement, en 1847, par l’ouvrage Noirs et Blancs. Son sous-titre Esquisses de Bourbon semble indiquer déjà qu’il échappe à la forme littéraire traditionnelle. Il s’inscrit dans la mouvance des écrivains engagés, pour qui la frontière est poreuse entre la réalité où ils vivent et ce qu’ils en écrivent. Il s’agit en effet d’un roman, avec une intrigue, une histoire racontée, mais nourri de descriptions documentées sur les différents aspects de l’esclavage sur l’Île Bourbon. Journaliste, professeur de philosophie, secrétaire-rédacteur au Conseil colonial, l’auteur est un acteur et un observateur attentif de la société. Il rapporte fidèlement, derrière le travail de fiction et d’imagination, des réalités et des faits dont il a été le témoin oculaire. Comme l’écrit Marlène Tolède dans la Postface du livre : « Le narrateur transmet ses connaissances du contexte local et consacre plus de la moitié du livre aux observations, analyses et critiques. Ce témoignage authentique est doublé d’une intrigue romanesque à travers des personnages qui illustrent la texture de la société coloniale. L’ironie que l’auteur manie avec une grande habileté contribue à l’expressivité et à la vivacité des esquisses et lui permet d’exprimer son opposition à l’esprit colonial de façon détournée ». C’est une des richesses de ce livre de se prêter à de multiples lectures. D’autant que, contrairement à ce que pourrait annoncer le titre Noirs et Blancs, il ne méconnaît pas la complexité des situations et des personnages. L’originalité de ce « roman historique », son langage, son style, son ancrage culturel très marqué, peuvent parfois dérouter le lecteur. Mais on ne perd jamais le fil du drame raconté, ponctué parfois de séquences et de scènes insupportables. La tragédie historique que fut la « Traite des Noirs », titre de la première partie du livre, est décrite de manière réaliste, de leur départ de la côte Est de l’Afrique jusqu’à leur exploitation à Bourbon, dont témoigne la seconde partie intitulée : « La vie coloniale ». Tous les aspects sont abordés : la capture des esclaves, le commerce, le voyage vers l’île, les conditions de travail et de vie dans la plantation, les punitions et traitements inhumains… Ces réalités sont aujourd’hui reconnues et validées par les travaux des historiens. Mais sont-ils toujours aussi connus qu’on le pense ? Le fait d’être ainsi inclus dans une fiction littéraire, permet de les rendre accessibles au plus grand nombre, au-delà du cercle des seuls spécialistes. Je pense notamment aux jeunes (à partir de l’adolescence) dont l’appétence pour l’histoire n’est pas toujours très affirmée ! A travers un tel livre, qui ne se situe pas seulement sur le registre du savoir, mais qui met en jeu le ressenti, les émotions, les sentiments, peuvent s’opérer une découverte d’une page douloureuse de notre histoire, une prise de conscience concernant l’esclavage et tant d’autres pages « d’inhumanité » hier et aujourd’hui.
Michel Bertrand
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