Carnet Communauté

Martine Leenhardt-Bruneton – Action de grâce – 31 décembre 2021

31 décembre 2021 – Martine LEENHARDT-BRUNETON

– N’hésitez pas à vous déplacer, pour respecter les consignes sanitaires d’espacement. En particulier utilisez bien l’espace des tribunes.

Musique (Vincent et Manu) dans le clocher. À mon signal ils descendent, en jouant toujours.

Dès que Manu est à l’orgue, Musique – Entrée du cercueil

Accueil : Bienvenue à vous, amis du Trièves ou de plus loin, mes sœurs, mon frère, nos enfants et petits-enfants, nos neveux et nièces, ma cousine…Tous  vous avez vécu un bout de chemin avec Martine (pas si long que moi, qui tiens le pompon avec 70 ans d’amour), mais toujours avec intensité.

       Le 25 juillet dernier, j’avais évoqué Martine dans un culte un peu particulier : une sorte de préfiguration de ce que nous vivons maintenant, parce que, comme le dit Paul Fort,      Il faut nous aimer sur terre
Il faut nous aimer vivants

                                            Ne crois pas au cimetière
Il faut nous aimer avant !

         J’avais dit ceci : Mon épouse Martine a eu un rôle important dans notre communauté, la communauté protestante, mais aussi l’ensemble du Trièves, où elle a été institutrice autrefois dans divers lieux, chef de chorale, randonneuse, conseillère presbytérale, accueillante de réfugiés etc. Et si maintenant elle n’est plus capable de bouger, donc ne peut plus participer au culte,(bien sûr je cite là ce que je disais en juillet) ce n’est pas une raison pour la tenir à l’écart de nos pensées, et de nos rassemblements. L’idée de ce culte particulier m’est venue en retrouvant dans mon ordinateur un culte qu’elle avait présidéici en 1998. Je vous redirai tout à l’heure sa prière d’intercession.

         Martine a été une bonne représentante d’une espèce en voie de disparition : celle des femmes de pasteur actives dans leur paroisse. Contrairement à une (de la génération suivante) qui me disait : « Je n’ai rien à voir avec l’employeur de mon mari ! », Martine illustrait bien la boutade : « L’Église protestante a deux serviteurs pour le prix d’un seul ! ». Cet engagement non salarié de la femme de pasteur ne me paraissait pas choquant, car l’ensemble des membres laïcs de nos églises qui se dévouent à son service sont aussi des bénévoles. Ma mère (femme de pasteur elle aussi) disait : « La femme du pasteur est l’élément laïc du ménage ». Ça équilibre !

         En revanche la grand-mère de Martine, femme très pieuse et très fière d’avoir donné quatre de ses cinq enfants au service de Dieu (deux pasteurs et deux femmes évangélistes-missionnaires) avait dit à Martinequi lui avait annoncé nos fiançailles : « Rappelle-toi que tu épouses le pasteur avant l’homme ! » Ça ne m’avait pas plu ! Et je crois que cela n’a jamais été le point de vue de Martine.

Interlude

Un bout de poème d’Henri Michaux, que je connais depuis 60 ans mais que j’ai eu le sentiment de vivre ces dernières années :

Sur le chemin de la Mort,

Ma mère rencontra une grande banquise;

Elle voulut parler,

Il était déjà tard,

Une grande banquise d’ouate…

Elle eut alors ce si gracieux sourire de toute jeune fille,

Qui était vraiment elle,

Un si joli sourire, presque espiègle;

Ensuite elle fut prise dans l’Opaque. 

         Je voudrais évoquer le début de la période la plus difficile de notre vie commune, parce que cela donne l’assurance que peuvent s’ouvrir devant nous des espaces d’amour et de paix que l’on n’osait pas espérer.

         Ce fut d’abord la période où petit à petit sa tête s’en allait : mémoire, sens de l’orientation dans l’espace ou dans le temps, joie de vivre… Elle s’en rendait compte et en souffrait. En  mai 2016, à l’hôpital, après sa chute dans la cour en jouant au ballon avec un petit enfant et sa jambe cassée, elle m’a accueilli par un « et voilà, c’est le moment de nous dire adieu ». Et comme je doutais : « Je le sens bien, c’est ce que j’ai compris quand je suis tombée et n’ai pu me relever ». Elle a pas mal parlé sur ce thème, clairement, pas du tout confuse, avec un beau visage souriant, paisible, exprimant tellement de sérénité et de reconnaissance pour cette longue et belle vie… « Nous avons eu une belle vie, pleine d’amour. Merci !… »

         Dès ce jour j’étais prêt à vivre la suite sereinement. Comme un cadeau.

         Comment envisageait-elle sa mort ? Il y a eu de longues conversations, pleines d’émotion, sur le bilan de sa vie, son  désir de la quitter, son amour et sa reconnaissance pour tous. L’humour y avait sa place : « Dis à Adeline que j’aurais bien aimé continuer à rigoler avec elle dans son monde, et que je lui souhaite une belle vie et à ses enfants aussi ».

         Une autre fois : Avec toujours le souci d’enfants en danger, ce qui montrait bien la place qu’avaient tenue les enfants dans sa vie d’institutrice et de mère de famille, elle exprime aussi des souffrances : « Ça fait mal, ça fait mal… Laisse-moi mourir… »

         Devant son cerveau qui l’abandonne : Oh la la, que c’est difficile de sortir de cette brume…  Que c’est difficile d’être vivant ! – Mais c’est bien d’être vivant, ou pas ? – Oh là je crois être au bout du compte, je laisse la place libre »…

         Après une matinée un peu agitée, je lui dis : – Ah, tu fais des progrès. Elle répond : – C’est pas juste, j’étais presque morte… « J’en ai marre de vivre ».

         Et puis, assez soudainement, sans besoin de médicaments, tout s’est apaisé, elle est devenue souriante et sans souffrance.

         On m’a dit parfois à cette nouvelle époque: « Nous pensons souvent à toi, c’est tellement dur ce que tu vis, tellement angoissant, tellement terrible »…

         Mais non ! Quand elle chantonne ; quand elle rit ; quand son visage paisible et rose exprime tant de paix et d’amour ; quand elle discute avec ses visiteurs angéliques ; quand elle mange de si bon appétit ; quand elle dort si paisiblement… Ce serait dur ? Angoissant ? Terrible ? C’est toi qui me disais, Sophie : « Tu en parles de façon tellement positive qu’on croirait que tu la préfères comme ça ! » Préférer, non. Mais que ce soit plus facile, certainement : plus de contradictions, plus de discussions, plus d’angoisses, toujours son sourire !

         Bien sûr elle ne peut plus bouger, on ne peut plus discuter ensemble. Mais on peut encore dire « je t’aime », avec la bouche ou avec les yeux.

         Cela a duré cinq ans…

Nataliana – par Marie (harpe)

Place maintenant à quelques témoignages.

Un témoignage de Dédée Charles. Chant de la chorale (Mille colombes)

Lettre de Rachel(lue par Sophie)
Mamé,
Je ne sais pas comment ni par quoi commencer. Tu es morte hier, après de longues années entre deux mondes. Dans ma tête, j’avais déjà perdu ma grand-mère depuis longtemps. Mais c’est maintenant que ton départ est réel. Je ne serai pas là quand tu retourneras à la terre. Je serai loin, seule, et je penserai à toi.
Quand Anne est morte, j’ai eu tant de regrets. Tant de culpabilité, de honte, de colère, et de tristesse bien sûr. Ce que j’aurais voulu avoir dit, entendu ou fait. Le chemin qu’on ne parcourrait pas ensemble. C’est si différent aujourd’hui.
J’ai appris qu’au moment de dire adieu, il y a peu de mots qui comptent. Je t’aime, merci, pardon et je te pardonne. Je n’ai pas besoin de te pardonner, ça doit être l’avantage des grands-parents : je ne t’en veux de rien. Tu m’as sûrement fâchée mais je ne m’en souviens pas. Je ne crois pas que tu aies besoin de me pardonner non plus mes menues bêtises d’enfant, mes vols de glace à la vanille dans le congélateur, mon agacement la fois ou tu as renversé une bouteille d’eau sur mon passeport, ou mes remontrances face à ta conduite, disons moyennement rassurante, des derniers temps.
Quelques regrets quand-même. J’aurais voulu que tu connaisses mon fils. J’aurais voulu te connaître mieux une fois adulte. J’aurais dû être plus attentive quand tu racontais un monde aujourd’hui disparu. J’aurais voulu être là pour t’accompagner et te dire au revoir, et pour serrer ton mari et tes enfants dans mes bras.
Merci pour tout. Pour m’avoir accompagnée dans la découverte de la vie. Pour ta connaissance des plantes et des animaux. Pour tes histoires. Pour ta cuisine et toutes tes petites attentions. Pour ta tranquillité, ta douceur et ta joie. Pour tes explications sur le monde, les gens, le bien et le mal. Pour ta boussole morale, même si elle m’encombre parfois. Pour tes combats, pour avoir rendu le monde un peu meilleur. Pour les vacances à Courlay, à Tutegny, à Trappes ou à Mens. Pour les grands voyages : l’Italie, la Palestine, La Réunion. Pour les souris, Grisou et Prunelle, que nos parents nous auraient jamais achetées,
j’en suis sûre. D’avoir été avec nous si longtemps. Et pour tout ton amour.
Tu as énormément compté dans ma vie. Et je t’aimerai toujours.
Rachel

Interlude

Claire Hémard

Une vie à deux  et tout d’un coup , même si l’on est préparé, on vous enlève  une moitié…..

Mais on l’a eu, cette vie !  On en a profité, on a partagé tant de moments , des bons , des mauvais,

Des mercis , des excuse-moi, des larmes, des éclats de rire,  les tous les jours ,  et  toutes les nuits! On a tenu bon .

Avec toute  notre amitié

Claire

Interlude

Marie : Maman,

         Tu as eu bien des passions dans ta vie, et j’ai choisi d’en évoquer deux ici: les enfants et la musique.

         Petite, j’adorais me pelotonner sous le piano à queue quand tu jouais les Moments Musicaux de Schubert. C’était une cascade de notes, une douche de vibrations extraordinaires.

         On chantait beaucoup en voiture, en balade, en famille. Avec le temps on a moins chanté, et tu le regrettais…

         C’est toi qui, vers mes douze ans, a suggéré que je fasse de nouveau de la musique. (J’en ai profité pour négocier une harpe)

         Les enfants: t’en occuper, jouer avec, les éduquer, tu adorais ça!

J’aimais bien aller dans ta classe de petits de maternelle. Tu avais plein d’idées, tu leur faisais faire de la compote, du beurre, du pain, même du vin! Tu amenais un tiroir de nos chaussettes dépareillées pour qu’ils réunissent les paires. Et quand un gamin était trop turbulent, tu le déposais au sommet de l’armoire de classe pour le calmer. (Ça marchait!)

         Tu pouvais aussi être fatiguée, énervée, énervante, impatiente, distraite…

Et pleine d’humour, et pleine d’amour pour nous et pour ceux autour de toi.

         Ta maladie, et ta dépendance totale, ont inversé les rôles. Elle nous a permis de t’aimer sans réserve, sans fausse pudeur, sans conflits, sans attentes. De l’amour inconditionnel qu’on porterait à un tout petit enfant…

         Pour toi, une vie heureuse sans enfants, c’était inconcevable.

Je sais que c’était une grande tristesse pour toi (comme pour moi) que je n’en aie pas eu.

         Mais aujourd’hui, je te fais une proposition: que cette tristesse, on l’enterre dans ce cercueil, aux côtés de ta dépouille.

         Je vais faire de mon mieux pour continuer à vivre une vie riche et pleine d’amour.

         Et si tu es dans le coin, je sais que je pourrai compter sur ton soutien… 

Interlude

Nathalie Atger : Nous sommes très émus par la disparition de Martine, et gardons le souvenir de votre entente et de votre complicité, de vos chants en duo lorsque vous veniez apporter quelques finitions à votre maison de Tutegny, que nous avons eu la chance d’occuper à notre arrivée de New York.

         Toutes nos pensées et notre sympathie vont à vous-même et à vos proches, depuis le Panamá (où Anaïs est à présent en poste pour la Croix-Rouge et où je suis allée lui rendre visite), Charens (de la part de Bernard) et Gap (de la part de mes parents).

Interlude

Marius :

Mamé était longtemps pour moi
Une pourvoyeuse de rêves.
Epaminondas, par sa voix
Douce, occupait mes nuits sans trêve,
Comme les chevreaux dans les poches
De sa belle marionnette.
Les jours auprès d’elle étaient fêtes,
Les pâtes de coing toujours proches.

Conseils avisés au piano,
Beaux paysages irlandais,
Puis, lorsque je devins ado,
En noir, en rond elle tournait :

Après mes doux rêves d’enfant
Elle nourrit mes engagements.
En Palestine et dans la rue,
Tranquille, discrète, elle fut
Un modèle persévérant,
Optimiste et bienveillant.

Mes nombreux rêves d’avenir,
Ma réelle envie de vieillir,
Chère Mamé, c’est grâce à toi
Que je les cultive avec joie.

Rêverie, de Schumann (Marius)

Chantal Meignan : Mes si chers Amis : Elle s’est éteinte suite à  une longue et belle vie, malgré peines et soucis; si bien accompagnée par André et par vous tous; je suis fière et heureuse de vous , même si dire cela en de telles circonstances peut paraître déplacé ? Je suis sûre qu’elle a été elle aussi fière de vous et heureuse de vous ce qui me permet de vous le dire aussi avec tant d’affections. En pensée du cœur je serai parmi vous ce vendredi  d’adieux, n’osant me déplacer sur des routes trop chargées ces jours ci . Mais assurément je serai parmi vous….

         Je ferai parvenir un chèque pour dire aux soignantes (dont j’admire la patience, la présence aux multiples attentions; tant de reconnaissance envers elles.

         Des pensées particulières à André qui, je le sais, dira adieu à Martine en souriant….tant il l’a aimée !

Bien avec vous tous        une Aïeule ….Chantal 

Interlude  

Vincent

Ma mère m’a fait quelques très beaux cadeaux.

De ceux qu’on emporte avec soi toujours.

La vie bien sûr.

Son accompagnement dans ma découverte du monde.

Ses leçons de piano. Son piano.

La liberté et la confiance, même si elle a dû, pour ça, surmonter sa crainte du malheur et sa peur de la mauvaise nouvelle imminente.

L’autorisation, verbalisée, à aller vers mon propre chemin.

Sa capacité à percevoir ma souffrance même quand je la cachais.

Il y en a un que je veux évoquer plus particulièrement.

Ma mère, cette femme que tout le monde me décrivait comme vive, joyeuse, souriante, généreuse, active, investie…..

Ma mère, donc, à un moment de sa vie, a connu une grave dépression.

Qui a duré des années.

Que peu de ses proches ont vue.

Qu’elle-même a mis très longtemps à nommer.

À deux périodes de ma vie où je cheminais avec des difficultés…. difficiles, elle m’a parlé de cette déprime, me l’a racontée.

Et son cadeau, immense, c’est ça. Mettre des mots sur une histoire dont j’avais été témoin,

que je ne connaissais pas,

que pourtant je connaissais depuis toujours,

sans savoir que je savais ni ce que je savais.

Pour ça, pour le reste, merci maman. 

Manu orgue et clarinette basse

         Texte de la Bible : Je vais lire dans cette Bible, dont les jeunes générations ne savent plus rien, mais qui pour nous les vieux a souvent été une boussole et une source d’inspiration. C’est d’abord dans le dernier livre du Nouveau Testament, l’Apocalypse, une espèce de grande vision ou de grand rêve du vieil apôtre Jean: « Et j’entendis du ciel une voix qui disait : Écris : Heureux dès à présent les morts qui meurent dans le Seigneur ! Ils se reposent de leurs travaux, et leurs œuvres les suivent ». Ap. 14:13.

         Quel a été le mystère de ces cinq dernières années de Martine? Je ne vois pas d’autre explication que : elle se repose ; de sa vie d’enseignante, de mère de famille, de femme de pasteur, de militante ; stimulée par ses convictions, et surmenée par les initiatives de son mari ! Il lui a bien fallu, au terme de 70 ans d’amour, toutes ces années pour jouir de ce repos, qui est resté si paisible, jusqu’à la dernière heure.

         « Ils se reposent de leurs travaux, et leurs œuvres les suivent ». Que ses œuvres la suivent, cela va dépendre de vous. Comment inscrirez-vous dans votre propre vie, dans vos propres engagements, un peu de ce qui l’animait ? En particulier cet accueil bienveillant des autres, de tous les autres, que nous allons chanter :

Chant :46 – 09 : Laisserons-nous à notre table

         Et puis l’amour en actes : c’est dans une lettre du même apôtre Jean: c’est un texte très simple et très clair. C’est un très vieux monsieur, qui s’adresse à nous en disant « mes enfants », ou même « mes petits enfants »… Je ne l’encombrerai pas de commentaires, mais je le lirai deux fois.

         Ce qui vous a été annoncé et ce que vous avez entendu dès le commencement, c’est que nous devons nous aimer les uns les autres…

         Nous savons que nous sommes passés de la mort à la vie, parce que nous aimons nos frères. Celui qui n’aime pas demeure dans la mort…

         Nous avons connu l’amour, en ce qu’il a donné sa vie pour nous ; nous aussi, nous devons donner notre vie pour nos frères. Si quelqu’un possède les biens de ce monde, et que, voyant son frère dans le besoin, il lui ferme son cœur, comment l’amour de Dieu demeurerait-il en lui ? Mes (petits) enfants n’aimons pas en paroles et avec la langue, mais en actions et avec vérité.

Musique : Vincent, Christophe, Emmanuel, Marie

Prière :Une prière faite par Martine, en 1998, lors d’un culte qu’elle avait présidé ; avec une évocation très sensible de la vie conjugale.

         Seigneur, nous venons parler avec toi, avec tous les soucis de nos cœurs, tout ce qui tourne en nous dans notre tête qui nous éloigne du bonheur et de la joie.

         Nous te prions pour les hommes et les femmes. Nous sommes tous des êtres humains, semblables : même cœur, même bras et jambes, même façon de respirer, de parler, et pourtant il y a entre nous cette différence qui nous attire tant et nous pose tant de problèmes. Pas la même façon d’aimer. Pas les mêmes besoins d’amour. Nous avons parfois de la peine à reconnaître dans les demandes de l’autre de vrais besoins aussi dignes d’être reçus et satisfaits que nos propres désirs.

         Et souvent, notre cœur lui-même est si contradictoire, si « impur », si mêlé : en même temps nous réclamons que l’autre nous aime et le prouve en s’occupant de nous, en nous consacrant présence et attention, et en même temps nous souhaitons qu’il nous laisse tranquille, qu’il nous laisse faire ce que nous voulons. Souvent nous savons gérer tout ça, nous savons ce qu’est la compréhension, la négociation, ce que signifie aimer l’autre comme soi-même. D’autres fois, nous nous décourageons d’aimer. Nous nous crispons sur nos propres besoins, craignons de faire seul les concessions et nous enfermons dans nos déceptions.

         Mais à présent nous nous trouvons devant toi. Nous savons que dans le passé tu as si souvent, pour nous ou pour nos ancêtres, ouvert une porte dans les impasses les plus sombres et dangereuses. Nous pouvons attendre devant toi que se fasse ce que nous nous sentons incapables de faire. Nous te faisons confiance.

         Nous te prions aussi pour ceux qui souffrent dans cette impasse d’une maladie qu’on ne sait pas guérir. Nous te remercions pour ceux d’entre ces malades qui sont pour nous des exemples de courage, de bonne humeur et de gentillesse.

         Que ton Esprit soit avec tous les hommes de paix qui existent dans tous ces pays pour qu’ils ne perdent pas courage, qu’ils ne renoncent pas à convaincre les autres.

         Nous pensons à tous ceux dans le monde qu’on fait travailler trop dur, trop longtemps, trop tôt quand ils ne sont encore que de petits enfants. Nous pensons aussi à ceux qui n’ont plus de travail, et pour certains plus du tout d’argent parce que le travail est parti là où on peut faire travailler les gens pour presque rien.

         S’il te plaît, Dieu, donne-nous des cœurs capables de sentir le malheur des autres pour que nous puissions faire progresser la justice, au moins un petit peu.

Notre Père chanté : 62 – 21

Chant :Allez-vous en sur les places

Après la bénédiction : 62 – 81 : Que la grâce de Dieu soit sur toi

Annonces : – Je n’ai pas demandé de cahiers de condoléances. Vous savez que j’aime bien bousculer les traditions : votre présence nous suffit, et votre amitié dans la suite des jours ne fait aucun doute et n’a pas besoin de ces traces écrites.

– De même le cercueil est tout simple, en bois de pin non traité.

– Après le cimetière vous êtes toutes et tous invités à un grand moment convivial dans notre cour.

– Si vous désirez faire une offrande, elle sera partagée par moitié entre le Service de soins à domicile (SIAD) et le collectif d’accueil des réfugiés en Trièves.

Musique de fin – Sortie

Annexes :

Texte de Sophie, non dit.

‌Voilà le texte que j’avais écrit il y a quelques années déjà.

(A Papa : je l’ai montré à Marie et Vincent aujourd’hui, Marie m’a suggéré de te le transmettre aussi).

Martine, ma mère
Évoquer Martine, c’est évoquer cette femme enthousiaste et chaleureuse que tout le monde connaît. Ouverte et curieuse, nageuse, marcheuse, aventurière et voyageuse, disposée à la bonne humeur, engageante et engagée.
Martine c’est une disponibilité généreuse aux délaissés de l’instruction, elle accueille un soutien scolaire, elle monte une école pour les petits sans papiers.
Martine c’est une grande sensibilité aux malheurs de l’humanité, une indignation jamais épuisée, un discours qui n’a pas varié, des convictions aussi inébranlables que sa foi en dieu. Elle a nourri un fort sentiment d’empathie pour les victimes, et la vision d’un monde d’injustice fait pour être sauvé.
Martine c’est une sensibilité à la beauté des églises, des paysages et de la musique jouée juste, aux couleurs chaudes de l’iconographie orthodoxe, au romantisme mélancolique d’un Chagall ou d’un Klimt.
Martine c’est une femme solidaire des luttes féministes, attachée à l’instruction et à l’autonomie des filles, un peu moins à leur liberté sexuelle, et clairement ancrée dans les valeurs familiales, Martine est une mère.
Ma mère c’est les grands ciels des Charentes où elle a grandi, et chaque été la maison pleine des grands parents, un mélange de rigueur protestante et de joyeuse agitation, de bénédicité et de naturisme.
Ma mère c’est, dans mes premiers souvenirs, l’apprentissage des jeux solitaires aux cartes un après-midi d’hiver à la montagne quand les grands sont dehors. Ces jeux qui conduisent peu à peu à finalement trier les cartes dans l’ordre et par couleur, qu’on appelait les réussites, j’ai découvert plus tard que d’autres les appellent patiences. Pour ma mère, être patiente c’était réussir.
Ma mère c’est les histoires du père castor, leurs illustrations soignées et leur morale de bonne conduite. C’est le goût des adages, pluie du matin n’arrête pas le pèlerin, un point fait à temps en évite cent, comme on fait son lit on se couche …
Ma mère c’est le sens du devoir, et un certain orgueil à prétendre pouvoir supporter, à nier ses limites. Ma mère, c’est le respect de l’autorité, militante révoltée pour les autres, mais que je n’ai jamais vue s’opposer. Le prof avait raison, le médecin avait raison, le père avait raison, le conjoint, dès lors qu’il avait été institué comme tel, avait raison. Il fallait juste, avec patience, se faire une raison.
Ma mère, c’est une femme souvent fatiguée, des journées de sieste, des siestes dans lesquelles elle dissimulait parfois ses larmes.
Entre Martine et ma mère, ma vie de femme a cherché son chemin dans les interstices.
« Ah mais moi je ne vais qu’avec un homme qui sait où il va. Est-ce que tu as ça, toi ? » m’a-t-elle dit dans ses derniers mois de validité. Clairement non.
Mais entre Martine et ma mère, il y a un espace qui respire où j’ai trouvé la ressource de la vitalité du corps. Un espace qu’elle aimait explorer avec le yoga, la marche, où elle allait volontiers à la rencontre des vagues, de la pluie, du vent, ou de la neige, des goûts prononcés du chocolat noir, du citron, des noix et du miel.
De cette vitalité je me sens héritière, et infiniment reconnaissante.

Texte de Manu,non dit (suite aux remarques critiques de la fratrie et du père).

Ceci n’est pas un règlement de compte.

Même pas un jugement premier.

Et donc, encore moins, un jugement dernier.

Peut-être la simple suite d’une conversation en cours avec une représentante de la Normalité, et, en même-temps, de la tangible espérance de quelque chose d’imprécis, en apparence, sauf pour les petits enfants sitôt qu’ils ont une maman compétente, qui se résume sous la formule de la prière chrétienne par excellence : la volonté de Dieu sur la Terre comme au Ciel.

Permettez-moi, avant de commencer, deux citations :

l’une d’un ami proche d’Einstein, Kurt Gödel, monumental mathématicien, qui a clôturé la longue saga de la recherche des fondements des mathématiques dansles mathématiques par deux célèbres théorèmes d’incomplétude, dans une lettre à sa mère ;

La deuxième est de mon trisaïeul Franz Leenhardt, pasteur, géologue et théologien, dans un discours de rentrée intitulé « les rapports du Christianisme et des sciences », en 1884.

  La première :

« On pourrait, dès à présent, reconnaître de manière purement rationnelle (…) que la vision théologique du monde est parfaitement compatible avec avec tous les faits connus (y compris les objets qui règnent sur notre terre). »

  La deuxième :

« Laissez le savant pénétrer plus avant dans la science, et le chrétien vivre de plus en plus son christianisme, et vous verrez les conflits disparaître successivement, comme les fantômes suscités par les ombres de la nuit s’évanouissent aux clartés radieuses du jour. »

Maman ! Maman ? J’ai peur du loup !

Je connaissais bien ma maman quand j’étais petit…

La faire venir quand nous étions déjà couchés, ça a bien marché un certain temps, jusqu’à ce qu’en montant les escaliers elle m’entende souffler à mes grands frères “ça y est, elle vient !”

Je m’en rappelle pas, mais je suis sûr d’avoir un super souvenir de ma grossesse avec elle, d’ailleurs, 4kg2, à ma naissance, j’en ai bien profité, un vrai Café des Sports. Et mon kif des voitures agiles ça vient de là, dans son utérus parfait, du grand mouvement cadencé, ou surprenant, chorégraphié, improvisé, et jamais de choc, quel Panhard, une vraie DS.

…Quoi ?

…c’est pas Panhard la DS ?

Citroën ?

quel pied, quoi…

Quel pied… Quel panard !

(panard… Panhard… oui, quoi, bon…)

Déjà, émerger de son ovaire, la droite,… ou la gauche…? Ah…. …peu importe…

…Après,, le grand jeu du spermatozoïde, quelle rencontre !

Ensuite, bon, je raconte pas tout, mais, quand même, l’œdipe :

Et alors ?

Pas question.

M’identifier à l’un de mes parents contre l’autre ?

Pas question !

Suffit de s’identifier à leur union.

Et tout roule !

Identification au mariage.

Pas besoin de bouc émissaire, de nation ennemie héréditaire, de Rivalité Systémique avec la Chine (comme disent maintenant les Grands de ce monde qui repartent ces jours-ci de plus belle à la course effrénée aux armements nucléaires, en piétinant impunément tout enjeu de climat, biodiversité, simple survie de l’humanité, voire survie de la vie biologique, car moi je vous pose simplement et brutalement la question en face : s’il fait + 7° en 2100, comme redouté dans Science&Vie, combien fait-il en 2200, puis en 2500 ? Sachant qu’il y a un tel précédent de réchauffement climatique sur Vénus), et pas même besoin de Peuple Élu avec l’idée du mariage et de l’unité, puisque on l’est tous, et toutes élu-e-s.

C’est pas marqué dans la Bible ?

C’est pas bien marqué dans la Bible ?

C’est pas très bienmarqué !

Et “vous êtes tous frères”, c’était pas bien marqué, en grosses lettres majuscules, au-dessus de la scène, dans la grande salle, à la Frat à Marseille ?

Et attention, “frères” c’était inclusif !

Ma sœur est mon frère, l’étranger est mon frère, le clochard est mon frère, De Gaulle est mon frère, Hitler est mon p’tit frère qui a mal tourné, ma mère est le frère de mon père (même si elle est devenue cheffe de famille à égalité avec lui (1) seulement en 1970 quand j’avais déjà 9 ans), et mon père est mon frère, (donc : … donc :    je suis le frère de ma mère, et aussi le frère de Dieu le p’tit père, PUISQUE quand on est le frère de sa mère, frère de Dieu, ensuite, tu penses, roue-libre, tu vois, ça descend, c’est de la rigolade!

Dieu …qui a bien mal tourné, puisque Dieu créa Hitler, qui a bien mal tourné.

Ce qui me rappelle un lapsus inspiré lumineux de ma mère : “Que la lumière fut !” …Authentique !

C’est sûr que deux guerres mondiales, celle de tes parents, puis quand tu avais de 7 à 13 ans, ça souffle un peu les bougies de Noël et les valeurs des Lumières.

Qu’importe, tu avais la foi, suffisamment en tous cas pour me faire généreusement ce merveilleux cadeau de la vie ah ben merci, ben merci, merci Maman, merci beaucoup, ben merci beaucoup, quelle générosité, vraiment quel altruisme, à moi, tu es vraiment sûre, pourquoi moi, tu vas pas regarder peut-être de l’autre côté, vers ton deuxième ovaire, ou le prochain cycle, peut-être ? Non… ?

Bon…

Résumons…

Enfant plutôt confiant et facile à élever, c’est relevé dans ma dernière expertise psychiatrique de 2019, pas trop tôt…

Ben… Trop facile avec une mère comme ça, y a qu’à voir la photo comme elle nous kiffait nous ses enfants avec Marie la tête en bas comme un ballon de rugby dans le lit, Maman radieuse qui la tient par les pattes et papa qui fait la photo en kiffant lui aussi.

À se demander si faire des enfants par demi-douzaine c’était encore de l’ordre de la simple sublimation de la libido – la procréation ayant encore valeur de pass-sexuel – ou si, tout compte-fait, ça relevait déjà du bonheur tangible et sans mélange, un bonheur si consistant qu’il aurait sa valeur ultime en lui-même et pour lui-même, et pourrait au passage nous faire supporter l’idée, même théorique, d’une éternité, si elle se présente.

En plus tous les deux répondaient honnêtement aux questions :

Pourquoi on se marrie pas entre frères et sœurs ?

Parce que ça fait des enfants anormaux.

c’est obligé le cathé ?

Oui :

Vous n’êtes pas obligé·e·s de croire, mais nous souhaitons que vous sachiez ce que nous on croit, afin que vous puissiez faire vos choix quand vous serez grands en connaissance de cause.

Et voilà, bientôt, je fus grand (physiquement parlant, disons), et quittai la maison.

Encore quelques questions aux parents :

croyez-vous en Dieu, pourquoi avez-vous des enfants, pourquoi vous avez choisi ces métiers…

et il fallut choisir un métier.

Conducteur de diligence pour la Reine d’Angleterre !

Fabriquant de moments privilégiés !

Non, allez, sérieux.

C’est l’année du bac, quand-même.

1979

Et en fait, c’est mon métier qui m’a choisi, avant même qu’il ait un nom, Nom de Dieu.

Promoteur de la Saint Blasphème, Citoyen du Bonheur Futur, Adolf Hitler du Bien Expérimental Industriel sous contrôle du Principe de précaution ?

J’ai même pas tellement cherché un nom à mon métier rêvé, par paresse mathématique comme dirait ma tante prof de math, mais… Eurêka, quand-même…

1979

En cherchant quoi faire après mon bac, j’ai trouvé quoi ? pile poil les axiomes que cherchait Kurt Gödel, le copain d’Einstein, qui s’ennuyait après avoir trouvé, à son grand désespoir, ses fameux théorèmes.

Alors voilà, Maman.

Malgré nos disputes au sujet de l’infaillibilité des psychiatres et de la psychiatrie, malgré ton désespoir de mère au sujet de ma prétention, ma prétention légitime, Maman, à psychanalyser mes psys, mes parents, le système, et la théologie trinitaire (tu sais, la trinité, avec le Père, le Fils, et… la Mère, et la Fille, comme à la fin du livre de Job où ses filles reçoivent une part d’héritage parmi leurs frères et chacune un nom : « Iemima, Colombine ; Quesi’a, Cinnamome ; Qèrèn-ha-Poukh, Cornet à Poukh » (entre parenthèses j’aimerais bien savoir combien d’autres théologiens que moi ont relevé ça, cette différence entre le premier et le dernier paragraphe du Livre de Job)

…Ton désespoir de mère – tu crois que c’était facile d’être l’incarnation de ton désespoir de mère?) au sujet de ma prétention à miser sur ma musicothérapie personnelle plutôt que sur leurs neuroleptiques made in Big Pharma, ben voilà, je suis devant toi, et je prétends que je n’ai pas été indigne, malgré certaines apparences qui ne sont pas toutes encore clairement dénouées, de la géniale éducation que tu m’as donnée.

(1) Post Scriptum : Chronologie dans la législation, dans Wikipédia :

Code civil de 1804 – Les époux ont un statut foncièrement inégalitaire : la loi du 26 ventôse an XI (17 mars 1803) dispose que la femme doit obéissance à son mari.

Loi du 18 février 1938 – Suppression de la puissance maritale, de l’incapacité juridique totale de la femme mariée ainsi que de son devoir d’obéissance.

Loi du 22 septembre 1942 – Association de la femme à la direction de la famille.

Loi du 13 juillet 1965 – Réforme des régimes matrimoniaux : les Françaises n’ont plus besoin du consentement de leur mari pour choisir une profession ou pour ouvrir un compte en banque et disposer de leurs propres biens.

Loi du 4 juin 1970 – Suppression de la notion de chef de famille au profit de l’autorité parentale conjointe.

Loi du 23 décembre 1985 – Nouvelle réforme des régimes matrimoniaux : les époux deviennent véritablement égaux au regard de la loi.

Loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a posé le principe de l’accès direct du patient à l’ensemble des informations de santé le concernant et le décret du 29 avril 2002 a organisé cet accès.

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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