Godefroid Kangudie, dit Kä Mana, est décédé le 16 juillet 2021 à Goma, Congo-Kinshasa. Il avait 68 ans. Visage lumineux, amical, qu’aimaient tant ses proches ; universitaire et intellectuel de grande dimension ; pasteur, humaniste ardent, pourfendeur d’idéaux supérieurs devant la société ou au sein des Eglises : rien de tout cela ne suffirait pour résumer l’homme qui, comme ses nombreux livres, ne laissait indifférent.
Formé d’abord en philosophie à Kinshasa, Kangudie rejoint l’Université grégorienne de Rome aux débuts des années 1980, avant de regagner Bruxelles où il décroche sa maîtrise en théologie protestante et un doctorat en philosophie de l’Université libre de Bruxelles. Arrivé à Strasbourg pour le doctorat d’habilitation en théologie, obtenu avec la plus haute mention, Kä Mana intègre le protestantisme alsacien, et en devient ministre. Au DEFAP (service protestant de mission),le voilà envoyé en mission via la CEVAA (organisation regroupant les Églises d’Afrique et d’Océanie nées du protestantisme français), des activités menées ensemble avec une production littéraire en plein essor.
Les pasteurs Fritz Trautmann, Alain Rey, Jacques Fischer et d’autres l’ont accompagné de leur bonté. Kangudie a su garder également une gratitude particulière pour ses maîtres, Jean-Paul Gabus et Gabriel Vahanian.
Et l’expérience africaine ? Bangui, Dakar, etc. le familiarisent avec les défis de l’Afrique postcoloniale : l’afropessimisme émergeant, le triomphe du néo-libéralisme, les dégâts de la mondialisation. Ses publications en porteront l’empreinte. Les écrits des penseurs africains post-négritude constituent son pain quotidien. Kä Mana ne se fait pas au racisme invétéré dans la société. Le désordre du discours sur l’immigration le choque profondément tout autant que l’incapacité des africains à penser sérieusement leur condition. A l’orée des années 2000, il quitte définitivement la France. Après Porto Novo, Bafoussam et Yaoundé, il se fixe à Goma.
Si ces dernières années, la désillusion envers le protestantisme africain a révélé une curieuse nostalgie de son catholicisme d’origine, Kangudie est resté cependant attaché à un sens de liberté qui a fait de sa vie une passion. Une passion irrésistible contre les entraves familiales, symboliques, institutionnelles ou idéologiques. Dans un important ouvrage à paraitre, il attribue cet instinct d’autonomie à Luther et Calvin, mais aussi à Bonhoeffer et Ricœur.
En Afrique, le champ ecclésial et social, le domaine intellectuel et universitaire, l’espace éditorial et médiatique drainent son énergie. Enseignements, formations, expertises diverses, projets locaux de développement : l’homme semble sur tous les fronts. Son rayonnement est établi, notamment en Afrique francophone. Liberté, démocratie et reconstruction de notre destin mobilisent particulièrement sa pensée dans une perspective d’éthique fondamentale.
Après un cancer surmonté, il a été emporté par le covid. Le monde intellectuel noir perd un esprit fécond et puissant, nos Églises un témoin courageux et brillant.
Philippe Kabongo-Mbaya
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