Il y a des personnes qui sont tellement liées à la cause qu’elles portent que l’on ne peut dire leur nom sans en même temps évoquer la cause. C’est le cas d’Inge Ganzevoort avec la question de l’écoute et de l’accompagnement des malades et des personnes vulnérables. Elle est un véritable repère dans le domaine de ce que beaucoup appellent aujourd’hui, le « Care » ou le « Prendre soin ». Dans les milieux de l’aumônerie hospitalière, mais aussi dans les milieux des paroisses pour la visite, ou dans tout autre milieu laïque où la question de la relation d’accompagnement se pose, on fait appel à sa grande expertise. Elle se met alors en mouvement pour rencontrer des groupes, pour concevoir des modules de formation ou pour écrire articles et ouvrages dans lesquels elle livre le cœur de ce qui a fait son chemin de vie.
L’art de l’écoute
La vie de Inge Ganzevoort est toute entière tournée vers le sens de l’écoute et de l’accompagnement. Elle en a fait sa signature. Pour Inge, l’écoute se conjugue avec le renoncement. La rencontre avec l’autre souffrant renvoie celui qui vient à la rencontre à un silence nécessaire. Ce type de renoncement est la condition pour laisser place à l’inattendu ; c’est la possibilité d’un espace offert à une parole cachée ; c’est une invitation, c’est une chance laissée à ce que l’on ne connaît pas encore et qui peut jaillir comme une surprise. Pour Inge, on ne peut aller à la rencontre d’une personne en difficulté si on est soi-même « embarrassé » par du « trop plein ». Le « trop plein » est parfois religieux. On peut en effet se protéger derrière des paroles religieuses toutes faites. C’est un « trop plein » parfois lié au métier. On peut se cacher derrière le « tout prêt » ou le « tout appris ». Il faut pouvoir se débarrasser de tout ce qui pèse. Le renoncement dont parle Inge Ganzevoort, c’est cette forme d’ascèse qui place l’écoutant dans la condition de celui qui, dans la situation de rencontre avec l’autre, prend le risque de ne pas savoir et de n’avoir, à l’avance, aucune vérité dans son sac. C’est une ascèse qui certes prend le risque de l’échec quand tout reste froid et sans suite et cela peut arriver. C’est une ascèse qui prend le risque de la chance quand au-delà des silences et des peurs, naît une parole.
Un travail continu
Il est clair qu’on ne s’improvise pas dans une démarche de renoncement. Cela demande des dispositions personnelles, une disponibilité spécifique, et il faut bien le dire, un énorme travail, une préparation continue. Inge était totalement habitée par cette question de la rencontre avec l’autre souffrant si bien qu’au moment où elle décide, en 1982, de se former en théologie, elle se bat pour pouvoir organiser sa formation autour des enjeux liés à l’accompagnement. Ses professeurs de l’IPT acceptent alors qu’elle suive des séminaires et des stages en Allemagne où se développait une recherche approfondie sur ce que l’on appelle le Pastoral Counseling. À l’origine, c’est une recherche américaine qui était peu connue en France et qui conjugue, dans son approche, la dimension théologique et tout l’apport des sciences humaines. Dans le Pastoral Counseling, la relation d’accompagnement ne se conçoit pas sans une supervision et un retour d’analyse permanent sur expérience. C’est la démarche exigeante dans laquelle s’est située Inge Ganzevoort. Au sortir de ses études, elle exercera cet art de l’altérité réfléchie et travaillée – c’est en effet un art véritable – à travers deux postes d’aumônerie, chez les Diaconnesses à Paris et à Bagatelle, à Bordeaux.
Une quête de résilience
L’histoire personnelle d’Inge Ganzevoort éclaire sans aucun doute son parcours. Elle naît en Allemagne au moment où son pays entre en guerre avec l’Europe. Elle n’appartient pas à la génération de ceux qui ont porté Hitler au pouvoir, mais elle se retrouve dans l’héritage direct de cette génération avec une foule de questions et de pourquois non résolus, avec un sentiment diffus non de responsabilité mais d’appartenance à une histoire qui restera à jamais impossible à expliquer. Les mouvements de jeunesse dans l’Église d’après-guerre sont sa chance. Elle rencontre des jeunes européens et fait la connaissance de Johan, un fils de pasteur hollandais qui avait risqué sa vie pour résister et cacher des juifs. Ils se marieront et vivront ensemble une sorte de parcours de résilience à travers des engagements humanitaires et européens. Ils sont à Paris, quand au début des années 1980, une des amies d’Inge meurt dans un hôpital sans avoir été accompagnée. Cela la révolte et, en même temps, cela stimule en elle l’appétit qu’elle contenait de pouvoir accompagner ce qui est fragile. Elle en fera un enjeu exigeant de formation et d’engagement dans le ministère. Pour beaucoup, parmi les malades, parmi les soignants, parmi les pasteurs et les visiteurs, elle est un repère ; elle a été une lumière sur le chemin.
Épilogue
Inge et Johan vivent actuellement à Langlade dans un appartement de la Fondation pour les Ministres. Inge est toujours surprenante ; elle reste habitée et passionnée par tout ce qui pourrait être dans sa vie, la belle irruption de l’inattendu !
Alain Rey
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