Il ne faudrait pas oublier d’être une Église du Jour de Pâques
Oui, je sais : la naissance de l’Église, ce n’est pas Pâques, mais Pentecôte. Comment oublier cet extraordinaire éclatement de la Parole de Jésus dans tous les langages de l’époque ! Et ce qui me plaît dans cette légende, c’est qu’il est alors donné aux membres de l’Église de ne plus du tout se comprendre entre eux, puisque chacun s’en est allé vivre et parler dans une culture et une langue étrangères. Imaginez un peu ce fabuleux tableau ! Parce qu’ils sont parvenus à annoncer l’Évangile de Jésus aux « autres », ils ne peuvent plus se comprendre « entre eux » ! Parce qu’ils sont devenus mission, c’est-à-dire Église, leur centre de gravité n’est plus dedans mais dehors. Il n’est plus possible pour eux de fignoler une formulation unique et orthodoxe de l’Évangile. Il n’y a plus d’expression normative. Il leur faut accepter de vivre dans le risque des traductions et expressions diverses des autres. On ne peut pas oublier cette fête-là, cette merveilleuse cacophonie intra-ecclésiastique et ce brouhaha chrétien dès que l’on revient d’avoir parlé aux autres. J’aime trop cette fête de Pentecôte pour pouvoir l’oublier ; cependant, je pense qu’il faut aussi se souvenir du Jour de Pâques : il ne s’agissait pas encore de communiquer avec les autres, mais de rester en communication avec Jésus.
Vous vous souvenez de Marie de Magdala pleurant près du tombeau. « On a enlevé mon Seigneur et je ne sais où on l’a mis. » C’est ainsi que commence Pâques : une disparition de Jésus. Ici aussi, vous allez penser : il y a des récits d’apparition du Ressuscité. Certes, mais, à bien lire jusqu’au bout, il s’agit, chaque fois, de récits de disparition.
Voilà donc la première Église, dans ce cri : Jésus a disparu ! Nul ne sait où il est ! Vite, hâtons- nous ! Il nous faut tous partir à sa recherche, sans tarder… Ainsi, c’est parce qu’elle n’a plus Jésus que l’Église va devenir Église : elle va le chercher, obstinément, jusqu’au Royaume. L’Église n’a pas Jésus, mais elle veut absolument partir à sa recherche. C’est l’Église du disparu de Pâques. Mais où le chercher ? Je ne vois que deux pistes possibles. D’une part dans les vieux textes, où sont gardées des traces encore audibles de ses paroles. Première piste : faire parler les Écritures. Là où est sa Parole, là vit toujours Jésus de Nazareth. D’autre part dans ces lieux à découvrir, où il disait lui-même qu’il allait retrouver les plus petits de ses frères : ceux qui ont faim et soif d’un peu plus d’humanité, les privés de liberté, les amputés de l’espoir, tous ces pauvres en souffle… car son Royaume est à eux ! Seconde piste : les exclus et les pauvres.
L’Église, c’est sans doute beaucoup d’autres choses, mais c’est d’abord cette recherche-là du disparu de Pâques, cet élan et ce mouvement de recherche. L’Église n’a pas Jésus, mais elle veut de toutes ses forces le retrouver, assurée qu’il lui sera donné, de temps à autre, d’encore l’entendre parler dans les évangiles, et de pouvoir encore le rejoindre et le saluer parmi les plus petits de ses frères. Retrouvailles peut-être fugitives, mais ô combien inoubliables, jusqu’à ce qu’il poursuive son chemin plus loin, et que (comme Église) nous nous remettions debout et recommencions la recherche. Église absolument sans frontières, sans enclos, sans liste bien établie de ses membres. Église toujours provisoire, et cependant toujours recommencée. Église fluide, disséminée, en mouvement, en quête. Église, brouillon d’église. Église pauvre, bien que, par instants, infiniment riche.
Amis, voici désormais comment recommence chacun des matins de notre vie, dans un cri de Marie-Madeleine : « Jésus a disparu ! » Que chacun, toute affaire cessante, se hâte de partir à sa recherche ! Oui, tous à sa recherche ! C’est cela, l’Église du disparu de Pâques. C’est cela, mon Église où il fait bon vivre, et travailler, et côtoyer des frères et des sœurs partageant cette passion de la recherche assidue du Ressuscité. Dernière interpellation : ne jamais oublier cette Église du premier jour, cette Église du beau matin de Pâques.
Voici donc ces quatre irritantes questions que tout prédicateur doit affronter sans cesse : Comment aborder Jésus non comme un dieu mais comme un frère ? Comment, devant Dieu, vivre comme étant sans Dieu ? Comment vivre l’évangile du pardon sans violence aucune, sans sacrifice ni sang versé ? Comment demeurer, encore et toujours, cette église passionnée par la recherche du disparu de Pâques ?
Louis Simon – Pasteur de l’Église Réformée de France
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