CRISE SANITAIRE : LES PROTESTANTS SE QUESTIONNENT ET S’ENGAGENT
« Responsabilité et liberté, deux valeurs chères au protestantisme peuvent nous inspirer »
Au nom de la Fédération de l’Entraide Protestante (FEP) et de la Fédération Protestante de France (FPF) et face à la crise sans précédent que traverse notre pays, nous souhaitons partager nos convictions et interrogations et poser quelques repères qui guident nos actions.
Tout d’abord, nous affirmons notre solidarité et notre soutien envers tous ceux qui sont plongés dans le désarroi, la maladie ou le deuil. Nous exprimons également notre admiration et notre profonde reconnaissance aux très nombreux professionnels et bénévoles qui œuvrent sans compter pour accompagner et soigner les personnes vulnérables.
Enfin, nous nous associons à l’inquiétude et au plaidoyer exprimés ces derniers jours par d’autres acteurs de la solidarité pour rappeler l’urgence d’agir auprès des personnes en situation de grande précarité, particulièrement fragilisées.
L’actualité questionne nos missions et nous interroge de façon paradoxale :
– Comment concilier l‘injonction vitale de confinement et l‘aide aux personnes que nous accueillons, qui relève souvent de l’urgence, voire de la survie ?
– Comment réagir face aux difficultés que rencontrent les familles en grande précarité pour se nourrir, alors que les cantines scolaires fermant leurs portes, leurs enfants perdent parfois le seul repas quotidien chaud et complet qui leur était assuré ?
– Comment répondre au besoin d’accompagnement administratif ou juridique, lorsqu’il y a urgence pour déposer un recours dans les délais, ou instruire un dossier qui ouvrira les droits tant attendus, mais que les services responsables n’ont plus les moyens d’assurer leur mission ?
– Comment le personnel des établissements sanitaires ou médico-sociaux peut-il poursuivre sa mission auprès des personnes accueillies, alors qu’exerçant sans masque et sans gants, il se voit refuser les mesures les plus élémentaires pour sa propre sécurité et par conséquent celle de ses proches ?
– Comment assumer cette tension douloureuse entre repli sur soi et don de soi ?
Dans ces circonstances, les deux valeurs fortes chères au protestantisme que sont la responsabilité et la liberté peuvent nous inspirer.
La responsabilité est au cœur de la Réforme : la prise de conscience théologique qui conduisit Luther à proclamer au XVIe siècle une nouvelle vision de la foi chrétienne s’enracine dans la conviction que chacun est responsable personnellement de sa relation à Dieu et à l’autre, sans besoin d’intermédiaire. Cette posture est exigeante, elle laisse la place au doute, elle nécessite rigueur et humilité et n’est jamais figée.
Et c’est ce à quoi nous sommes appelés dans le contexte actuel : nous mobiliser pour empêcher la propagation du virus, agir avec prudence, bienveillance et discernement, et adapter, en conscience, notre réponse en fonction de chaque situation.
Certaines associations ont ainsi décidé de fermer leurs portes et leur décision est parfaitement compréhensible, notamment pour protéger les bénévoles, souvent des seniors potentiellement fragiles, ou les salariés particulièrement exposés faute de protection.
D’autres choisissent de poursuivre leurs activités, comme le gouvernement les y encourage, et se réorganisent pour garantir la sécurité tout en continuant d’assurer l’accueil, la distribution de nourriture, les maraudes…
Dans le domaine sanitaire, c’est à chaque instant que les soignants doivent adapter les réponses, exercer leur jugement, et assumer parfois de terribles dilemmes, lorsque les moyens manquent.
Face à toutes les questions qui se posent, il n’y a pas de réponse unique : chacun est appelé à se positionner en gardant au cœur sa responsabilité, tout comme l’esprit de service et de solidarité qui est au cœur de sa mission.
De nombreuses initiatives surgissent déjà parmi nos membres et nous réjouissent, avec la mobilisation de nouveaux « bénévoles d’un jour », la mutualisation de moyens entre les acteurs de terrain, la mise à disposition gratuite par les entreprises de biens ou de services, le lancement de campagnes solidaires de courriers ou d’appels téléphoniques aux personnes isolées…
Notre rôle fédératif est aussi d’interpeller les collectivités et les pouvoirs publics, tant au niveau local que national, afin que cet esprit de responsabilité les anime et les conduise à mobiliser les moyens qui sont les leurs, particulièrement au profit des plus fragiles.
Appel à la responsabilité de chacun donc, mais aussi exercice de la liberté.
Vous direz : comment se sentir libre, quand on se retrouve confiné, empêché de sortir, de retrouver ses amis, de travailler, de se réunir, de célébrer, de se divertir ? Le sentiment d’enfermement risque de s’installer, et avec lui la tristesse, la solitude, et l’angoisse…
Face à cela, tout est question de regard, et là encore, l’histoire du protestantisme peut nous ouvrir une voie féconde. Alors qu’une vision étriquée de la laïcité conduit certains, en France, à assimiler conviction religieuse et abdication de la liberté, c’est bien le contraire que proclamaient les huguenots emprisonnés au temps de la révocation de l’Edit de Nantes, et qu’aujourd’hui encore nous osons dire avec force, au milieu du chaos provoqué par cette pandémie : le sens de la vie déborde les murs, les barrières, les confinements et les frontières, il s’appuie sur une conviction – et même une relation – qui nous dépasse et nous met en mouvement. Il nous appartient dès lors d’expérimenter cette liberté, qui nous pousse à agir, à inventer, à aimer, à nous battre parfois, mais toujours dans le respect de l’autre et la recherche de sa dignité.
Nous sommes contraints de rester chez nous, mais nous sommes libres d’inclure dans ce temps de retraite un espace d’ouverture aux autres, proches ou lointains, un espace propice à la réflexion, à la formation et au ressourcement intérieur, afin que ce confinement se révèle fécond.
Conscients que cette parenthèse est douloureusement vécue par beaucoup, nous encourageons chacun à la traverser dans la confiance et la liberté, et dans une attention particulière et responsable aux besoins de ceux qui nous entourent.
Isabelle RICHARD, Présidente de la Fédération de l’Entraide Protestante
Pasteur François CLAVAIROLY, Président de la FPF
*La Fédération de l’Entraide Protestante rassemble plus de 360 associations et fondations, représentant 800 établissements et services dans les domaines social, médico-social et sanitaire
*La Fédération Protestante de France rassemble une trentaine d’unions d’Eglises de différents courants et plus de 500 œuvres, institutions mouvements pour une représentation commune.
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