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Richard Fischer, un pasteur en prise avec une Europe utopiste et réaliste

Luthérien alsacien, il a exercé la plus large part de son ministère pastoral aux institutions européennes comme permanent de la Conférence des Églises européennes – KEK. Depuis Strasbourg, son port d’attache, il a parcouru tout le vieux continent chrétien. Focus sur Richard Fischer, le Monsieur Europe du protestantisme français.

« Comment j’ai converti Bernard Tapie » peut-on lire en grand sur une fausse affiche collée sur les murs de l’Aumônerie universitaire protestante de Strasbourg. Un clin d’œil accrocheur imaginé par les étudiants du lieu pour faire la fête à leur aumônier Richard Fischer, sur le départ vers les institutions européennes – Tapie est à l’époque élu au Parlement. Richard va y passer 21 longues années à articuler « prière avec action, spiritualité et éthique avec action sociale, méditation silencieuse avec présence pastorale » confesse-t-il.

Une manière prophétique

Sexagénaire à l’abord avenant, tout en discrétion, homme convaincu prompt au dialogue, ce fils de « malgré-nous » rescapé du camp de Tambov et ce gendre d’un insoumis à la tyrannie nazie, se dit « profondément attaché à la recherche de la paix et de la réconciliation entre les peuples. » C’est tout simplement pour lui l’une des missions de chrétiens, celle au cœur de son ministère de pasteur-secrétaire exécutif à la KEK.

C’est en 1995, qu’il entre en Europe après un début de pastorat dans son Eglise d’Alsace-Lorraine. Engagé avec fougue dans la cause d’une Europe unie, un proche lui fait remarquer que son enthousiasme donne l’impression qu’il confond l’Europe avec le royaume de Dieu. « Non, bien sûr ! Même si ce projet politique, à la fois utopique et réaliste, je l’aime. Il mérite qu’on se batte pour lui sans relâche. Ce combat est une extraordinaire et intense aventure interculturelle, spirituelle et interreligieuse. Le bonheur n’étant pas un état permanent – enfin, c’est mon expérience – il y a de temps en temps des nuages un peu sombres. »

Un an de service plus tard, Richard Fischer se demande ce qu’il fait là, à enchaîner réunions et discussions interminables, à écrire notes et rapports lus ou parcourus par très peu de gens, à se hâter vers des trains pour Bruxelles, Genève, Paris et autres villes allemandes. Quel rapport avec sa mission de pasteur ? Quel impact concret de son travail sur l’œcuménisme et l’unification européenne ? « La KEK, forte de sa longue expérience, est tout sauf timide et n’a pas la langue dans sa poche. Elle a le courage de témoigner clairement de l’Évangile dans des sociétés complexes où la dimension religieuse est d’un côté critiquée voire rejetée, et d’un autre côté de plus en plus remarquée et respectée. La KEK n’a de cesse d’accompagner et d’encourager les acteurs de l’Europe politique, parfois de les bousculer – et j’ose le dire – de manière prophétique. »

Plus politique que spirituel

L’un ou l’autre fait vécu marquant jalonne les années européennes de Richard Fischer. L’intense moment de prière et de recueillement improvisé dans l’espace de spiritualité du Conseil, suite au décès de l’assistante d’un parlementaire en pleine session plénière. Le long échange aussi impromptu que fraternel sur le non français au référendum de 2005 avec le député Jean-Louis Bourlanges, en pleine rue, à pied vers le Parlement. Le tête-à-tête avec le Commissaire aux droits de l’homme espagnol du Conseil, Alvaro Gil Roblès, dans un petit avion vers Syracuse pour un séminaire sur la violence religieuse, peu après la guerre des Balkans de 1990. A l’opposé, autre fait marquant : « le comportement bien plus politique que spirituel de certains membres du Comité directeur de la KEK, montrant une grande soumission au pouvoir politique dans leur pays. »

Apprendre à respecter

Et le Monsieur Europe du protestantisme français de clore d’un mot, en tant que Français. « J’aimerais que mon pays tellement plein de qualités arrive à abandonner en toute simplicité son habitude de croire qu’il est meilleur que les autres et qu’il a toujours vocation à diriger. Si seulement il apprenait à davantage respecter les autres et à apprendre d’eux. C’est là un des secrets de la construction européenne … » Exit aujourd’hui la fièvre européenne pour Richard Fischer. Le soir de la vie lui laisse enfin la liberté de se replonger un peu dans la théologie. Pour y croiser, entre autres, Maître Eckhart, théologien et philosophe dominicain des 13e et 14e siècle, le premier des mystiques rhénans. Pour se ressourcer quelques jours à l’abbaye cistercienne d’Oelenberg en Haute Alsace, haut lieu de spiritualité. Le tout mêlé simplement de marche et de travail physique, de moments de rêveries et de solitude…

Albert Huber

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