Comprendre l’Afrique ? On aime dire les « Afriques ». Il est pourtant des lieux et des temps où la preuve de son unicité est emblématique. C’est le cas de la République démocratique du Congo. Un échantillon emblématique de l’ensemble du Continent. Maurin Picard, journaliste au Point et essayiste, nous en donne une convaincante illustration. Par ses deux ouvrages jumeaux, « Ils ont tué Monsieur H », Seuil, Paris, 2018 et « Katanga ! La guerre oubliée de la françafrique contre l’ONU », Perrin, Paris, 2024, l’auteur éclaire, pour les familiers comme pour les experts, une réalité intense, riche et terrifiante. Rédigés dans une langue remarquablement brillante, d’un souffle captivant, les deux livres ne vous laissent pas indemne en les terminant ! Le premier, une enquête minutieuse sur la mort de Dag Hammarskjöld, secrétaire général de l’ONU de 1953 à 1961 ; le deuxième, un retour historique sur la sécession du Katanga lors de la décolonisation du Congo (ex-belge).
Les deux ouvrages sont si liés en une même intrigue, qu’il est presque impossible de se pencher sur l’un sans poursuivre avec l’autre. Peu importe en quel ordre. Le sujet : l’action déterminée de la France pour mettre la main sur le Congo. Une opération gaullienne à double détente. 1° – Continuer à torpiller l’ONU, depuis la crise de Suez. Mettre en mal son intervention dans l’ex-Congo belge par un réseau des mercenaires. Des anciens de l’Indochine, experts en guérilla, qui montreront de quoi ils étaient capables en Algérie. Une diplomatie de haute hypocrisie doublée d’une ingérence africaine particulièrement redoutable. 2°- Etendre l’emprise de la francophonie et élargir ainsi le territoire post-colonial de Paris en Afrique noire, en récupérant le Congo ! Cette cible n’était rien à côté de l’objectif stratégique de fond. Coffre-fort minéralogique convoité de tous côtés, le Congo vu de Paris semblait par trop à la portée des USA. Et pour la France, les Américains instrumentalisaient l’ONU et son dirigeant pour leurs propres intérêts.
Sans minimiser la diversité déconcertante des forces en présence, Picard décrit l’implication française aussi bien dans l’élimination de Dag Hammarskjöld que pour la déstabilisation du Congo à la faveur des irrédentistes katangais. Comment comprendre l’Afrique ? Le grand intérêt de ces essais est d’établir la matrice originaire de la françafrique, si décriée aujourd’hui sur le Continent mais aussi en France. De la même manière que l’économie du caoutchouc a déterminé le sort du Congo à l’orée des empires coloniaux, de la même manière que l’uranium congolais a marqué la fin de la grande guerre, de la même manière aujourd’hui le coltan, le cobalt et d’autres minerais alimentent un génocide de basse intensité au Kivu et dans le nord-est du grand Congo. Et le monde ne frémit pas !
La françafrique s’est métamorphosée : ce ne sont plus des affreux rescapés de l’Indochine ou des lambeaux de tortionnaires d’Algérie recyclés qui sont à l’œuvre, mais un régime local des intraitables tutsi. Résultante de sa rivalité mimétique avec les USA, la tendresse de Paris pour le Rwanda traduit cette nécessité. Disposer d’un petit Etat mercenaire comme d’un levier. Contraindre toute la région de l’Afrique centrale à une gouvernance de l’insécurité. Hypothéquer ainsi tout projet de relève en l’enlisant dans une instabilité et un désespoir chronique. L’unité africaine c’est largement cette absence d’horizon, délétère pour la confiance collective, asphyxiante de toute intelligence historique. Il ne reste paradoxalement pour les jeunes que le ressentiment et l’exode. Est-ce la seule façon de comprendre l’Afrique ?
Philippe B. Kabongo-Mbaya
Maurin Picard : Ils ont tué Monsieur H, Seuil, Paris, 2019
Maurin Picard : Katanga ! La guerre oubliée de la françafrique contre l’ONU, Perrin, Paris, 2024
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