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Témoignage de Jacques Maury lors des 70 ans de La Cimade, à Gurs

Témoignage de Jacques Maury, président d’honneur de La Cimade

70 ans de La Cimade à Gurs

Ce que je peux faire de plus significatif sur l’histoire de La Cimade, c’est de m’en tenir à un souvenir personne que je ne parviendrai jamais, je crois, à oublier. C’é tait dans l’é té 1942. J’étais alors étudiant en théologie à Montpellier. J’avais décidé d’aller rejoindre à rivesaltes, pendant les vacances d’été, mon cousin André Dumas qui y était équipier de La Cimade. Et j’y suis arrivé les derniers jours de juillet ou les tout premiers jours d’aoû t, à un moment dont je ne me doutais pas qu’il allait ê tre particuliè rement dramatique puisque c’était celui de la constitution et du départ du premier train de déportation.

La tension é tait naturellement é norme dans l’ıl̂ ot K, celui des Juifs, situé au centre du camp. L’activité de mon cousin é tait essentiellement d’essayer de faire exempter de ce dé part les plus grand nombre possible, en profitant des listes officielles d’exemptions qui avaient é té annoncé es. Situation tout à fait ubuesque… et hypocrite puisque, finalement, tous les «exempté s» (femmes enceintes, plus de 70 ans, enfants en bas â ge…) finiront avant la fin de l’été par être emportés par le train suivant. Vous pouvez imaginer l’angoisse ! Au bout de deux ou trois jours, le 7 aoû t, je crois, vint le moment du dé part du train. Et ici se situe le souvenir si douloureux que je n’oublierai jamais.

Au début de l’après-midi, sur la grande place d’appel, d’environ trente mètres de large, qui se situait au bord de l’ıl̂ ot L, le scé nario — si je puis dire — fut organisé . Imaginez : d’un cô té de la place, derriè re une rangé e de gardes mobiles, tous les Juifs de l’ıl̂ ot K. De l’autre cô té , une autre rangé e de gardes. Au milieu, tout seul, le directeur du camp, qui se livra à l’appel nominatif, qui dura prè s de deux heures.

Il appelait les personnes l’une après l’autre. L’appelé ou l’appelée devait alors franchir la rangée des gardes mobiles et traverser toute la place pour aller derrière l’autre rangée des gardes. Et c’est seulement après sa traversée que le suivant était appelé. Comme le tain é tait pré vu pour 700 personnes, vous pouvez imaginer combien a pu durer cette sinistre cérémonie ! Dans un silence de mort !

C’est ainsi que j’ai pu voir des couples définitivement séparés, à cause de ces fameuses exemptions. L’un appelé parce qu’il avait 66 ans, l’autre restant parce qu’il avait 70 ans, se regardant ensuite à travers toute la place, en se doutant bien qu’ils ne se reverraient plus jamais sur terre. Et tout cela dans un silence vraiment de mort. Puis, à la fin de l’appel, plusieurs camions se rangèrent derrière les groupes des appelés. Et, toujours dans ce silence sinistre, ils montè rent dans les camions.

Et soudain, quand les camions se mirent en route, s’élevèrent des chants hébreux, sans doute religieux. Puis les camions disparurent; nous restâmes là, les bras ballants, paralysés d’horreur et de chagrin. Non ! Je ne peux l’effacer de ma mémoire. Vous pouvez imaginer avec certitude qu’au même moment ou presque, la même scène dramatique se dé roulait ici à Gurs, et il m’a semblé que je ne pouvais rien vous dire de plus é vocateur et de plus dramatiquement significatif.

Gurs — 30 janvier 2010

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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