Robert Mollet est mort le mercredi 23 octobre au matin. Le dimanche précédent, Janine son épouse, et tous les siens, enfants et petits enfants, étaient rassemblés autour de lui pour célébrer son 64ème anniversaire. Ce fut un moment de paix. Robert n’était en colère ni contre la maladie, ni contre les médecins, ni contre Dieu. Certes, il se savait malade mais il se battait. Il mettait toutes ses forces contre le cancer. Il avait l’envie de vivre. Il faisait des projets. Le futur était une réalité. Le mardi matin, il est reparti à Montpellier pour son rendez-vous habituel avec la chimio. Il était fatigué. Les médecins n’ont pas voulu commencer la chimio tout de suite. La soirée fut belle et bonne. Il était paisible et reconnaissant, nous dit Janine. Il était beau, nous dit-elle encore. Et puis, au petit matin, les forces l’ont quitté. Le cœur s’est arrêté. Robert est mort. Il venait d’avoir 64 ans.
Nous avons « mâché des mots »
Le samedi suivant, le 26 octobre, nous étions rassemblés dans le grand temple de St-Hippolyte du Fort pour dire notre reconnaissance à Dieu pour tout ce que Robert avait été dans nos vies, pour tout ce qu’il avait apporté dans nos existences. Nous étions nombreux. Le temple était plein. Ce fut un moment de paix et d’apaisement. Nous avons dit les mots. Jean-Marie Tjibaou dont la figure a été évoquée à travers l’engagement de Robert et Janine en Nouvelle-Calédonie, disait à propos des coutumes de deuil ou de mariage qu’elles étaient faites pour « mâcher les mots ». Nous avons donc « mâché les mots ». Ce furent des mots de reconnaissance, des mots de souffrance, de consolation, de partage, et des mots d’espérance. Pour nous tous, Robert a été un vrai cadeau de Dieu et nous avions envie de le dire haut et fort !
Sous le signe de l’Armée du Salut
Mis à part les Kanaks qui n’avaient pu faire le déplacement, il y avait dans ce temple de St-Hippolyte des compagnons de route ayant accompagné chacune des étapes de la vie et de l’engagement de Robert. Les salutistes étaient présents et leur présence en uniforme rappelait les origines familiales de Robert. Ses grands-parents, tous deux officiers salutistes, n’avaient pas hésité à quitter leur Canton de Vaud en Suisse pour répondre à un appel en vue d’une évangélisation en France. Cela se passait au début du XX° siècle. Le père de Robert, Samuel Mollet, suivra les traces de ses parents et deviendra officier de l’Armée du salut. Il exercera son ministère dans les Cévennes et dans le sud de la France, à Ganges, à Mazamet, à Marseille. Robert grandira dans cette famille de salutistes engagés dans un ministère à la fois de l’annonce de la parole et du service auprès des plus pauvres. Ici, l’évangélisation non seulement n’est pas déconnectée du service mais le service lui-même est une annonce de la parole, la rendant concrète, vivante, actuelle.
Une formation en anglais à Paul Valéry
Robert quitte ensuite la cellule familiale pour se former. Il se formera en anglais, probablement avec l’idée d’enseigner. Il conservera de cette formation initiale un attachement particulier à la littérature et à la culture anglaise. La bible qui l’accompagnait dans ses lectures quotidiennes était une version anglaise. Faut-il voir dans ce goût pour l’anglais la recherche d’une proximité plus profonde avec William Booth, le fondateur Wesleyien du Salutisme ? Je ne sais. Ce qui est certain, c’est que Robert gardera sa vie durant la trace d’une spiritualité que je qualifierais volontiers de « wesleyienne », marquée à la fois par les effets d’un christianisme spirituel et ceux d’un christianisme social.
Solstices en Lozère
Après sa formation en anglais à l’université Paul Valéry de Montpellier, il s’engage dans une formation davantage orientée vers le service et l’éducation à l’Institut Lafon de Montpellier. Il s’est entre temps marié avec Janine Jolivot qui elle aussi est engagée dans un cursus de formation à l’Institut Lafon. Ils seront tous deux éducateurs spécialisés et ce n’est pas sans conséquence pour la suite de leurs engagements. Ils rencontrent en effet dans le cadre de leur formation à l’Institut Lafon un psychanalyste du nom de Bernard Durey. On est alors dans le début des années 70. Mai 68 n’est pas loin. La réflexion a été libérée dans toutes les disciplines. Durey réfléchit à la mise en place de modèles alternatifs pour la prise en charge d’enfants atteints de psychoses, d’autisme, de troubles du comportement et de carences graves. Il crée alors en Lozère une structure nommée « Solstices ». Il s’agit d’un véritable laboratoire pour l’autisme, une forme d’utopie en actes où se retrouve une douzaine de couples accueillant avec leurs propres enfants quelques 36 enfants lourdement carencés dans le but de les aider, de les soigner et parfois même de les sortir de leur enfermement. Les résultats sont d’ailleurs étonnants. Tous ceux qui ont vécu Solstices en sont modifiés. Il s’agissait en fait d’inventer un autre modèle non seulement dans le soin ou l’accompagnement thérapeutique mais dans le vivre ensemble. Robert et Janine Mollet ont été une des familles formant cette communauté thérapeutique d’un type nouveau. Plusieurs anciens « Solsticiens » étaient présents à Saint-Hippolyte. Leur présence et le témoignage apporté par Jean-Pierre Leclerc rappelaient la force et la qualité de tout ce qui a été vécu en Lozère à cette époque-là.
Des solidarités profondes avec la Kanaky
Après la Lozère, Robert, Janine et leurs enfants partent en Nouvelle-Calédonie. Ils sont des envoyés. C’est ainsi qu’on les appelle dans le cadre de la Cevaa. Cela signifie qu’ils se mettent entièrement au service de l’Eglise qui les accueille. L’Eglise évangélique de Nouvelle-Calédonie demandera à Robert de diriger le Lycée protestant de Nouméa, le lycée « Do Kamo », ce qui veut dire « l’homme véritable ». Les années 80 sont des années particulièrement difficiles pour la Nouvelle-Calédonie. En 1988, les événements de Gossanah sur l’île d’Ouvéa sont terribles. On se souvient que l’Eglise évangélique a adopté lors de son synode de 1979 à Houaïlou une motion en faveur de l’indépendance. Dans ces conditions, il n’est pas facile d’être un envoyé venant des Eglises de France. Dans un article paru dans le Journal des Missions, Robert s’interroge lui-même sur la difficulté de trouver en tant qu’envoyé une parole juste, audible ; une parole d’accompagnement qui n’abandonne pas l’exigence ; une parole de questionnement qui ne soit pas vécue comme une remise en cause, comme un jugement. Chantal Molina rappelait à Saint-Hippo que c’est dans ce contexte de crise que Robert et Janine ont vécu de très profondes solidarités avec la Nouvelle-Calédonie et le peuple Kanak. La Kanaky est entrée dans leur vie pour ne plus jamais les quitter. Ils en sont revenus avec une conviction renforcée selon laquelle ils étaient appelés à vivre des solidarités et des proximités plus fortes encore avec les laissés pour compte de notre société. C’est ainsi qu’après une formation théologique pour Robert, leur immense capacité de service et de témoignage a été accueillie dans le cadre de la Mission populaire au service des Fraternités d’abord de La Rochelle et plus tard de Trappes.
L’expérience des « Frats »
C’est Jean-Pierre Molina qui au cours du culte de Saint-Hippolyte a parlé de l’engagement de Robert dans les « Frats ». C’était fort. Pour ma part, à travers ce que Robert disait et écrivait de « Frats » et de la Miss pop, je retiens deux éléments. D’abord l’idée d’une forme d’accomplissement et puis le sentiment d’une frustration. Pour Robert, il y avait dans la « Frat » et ce qu’elle permettait de vivre dans le partage, la proximité, la solidarité, une sorte de préfiguration d’une société plus humaine, plus chaleureuse, plus généreuse, vers laquelle l’évangile lui-même nous appelle. Il aimait en particulier les moments de repas. Le repas partagé, c’est la scène du banquet où chacun est accueilli, considéré, pris en compte. C’est le banquet de la vie qui n’a rien à voir avec quelque chose de ritualisé et encore moins de sacralisé.
« Oui, voilà ce qui fait le sel du repas : on mange ensemble. Quand on fait ça dans nos frats, on prend en compte la place de l’autre, en commençant par son estomac. La dimension communautaire, fraternelle, familiale, nous fait humains ensemble, égaux ».
La frustration, elle vient chez Robert du fait de son analyse sur l’évolution de la Miss pop. Pour lui, la Miss pop avait quitté la dynamique du mouvement pour préférer le statut plus confortable, plus institutionnel, de l’Eglise. Il pouvait être en colère sur ce point. C’était comme si on attentait au cœur de l’évangile. Jésus n’a pas créé d’église. Il n’a pas voulu d’institution. Il est mouvement de liberté. Il est dynamique d’amour et de justice. La vocation des « Frats », c’est le banquet de la vie et non le repas de liturgie.
La mise en œuvre d’une stratégie
Entre les Fraternités de La Rochelle et de Trappes, Robert a exercé pendant 9 ans comme Secrétaire général de la Fédération de l’Entraide Protestante (FEP) un ministère non de terrain mais de stratégie, d’organisation, de vision. Son engagement à la FEP a permis notamment un vaste mouvement de régionalisation de la FEP, permettant ainsi aux forces locales et régionales de se retrouver, de se fédérer, en vue d’une action plus forte, plus concertée et mieux articulée avec les enjeux locaux. Il n’avait rien abandonné à ce poste de sa vision du mouvement. Pour Robert, l’enjeu d’une structure nationale, n’était pas de centraliser ou de capter à son propre bénéfice le travail de tous, mais au contraire de faciliter, d’animer, de faire en sorte que les ressources locales soient valorisées et qu’elles puissent se développer au mieux des intérêts locaux.
Un parcours d’une grande unité
Lors de ce culte de reconnaissance, nous avons fait mémoire de ce parcours riche, dense, qui fut celui de Robert Mollet accompagné de Janine et de ses enfants Thomas, Guillaume, Julie. Nous avons rendu grâce à Dieu pour un tel parcours. C’est un parcours de vie qui témoigne d’une unité profonde à travers le service et le témoignage. C’est un parcours qui témoigne également d’une très grande oecuménicité. Robert n’appartenait à aucune « chapelle ». Au contraire, il a su tisser des liens – des liens d’idées, des liens dans les engagements – avec de nombreux partenaires attachés à de réels ancrages. Il était pleinement dans le christianisme social avec ses engagements à Solstices, dans les « Frats », à la FEP. Il avait conservé du christianisme spirituel la radicalité évangélique et la protestation. Avec les Kanaks, il a connu un christianisme d’engagement politique et une animation biblique et théologique du type théologie de la libération en même temps que cela le plongeait pleinement dans l’histoire et la dynamique du mouvement missionnaire. Sa méfiance à l’égard des dogmes et des institutions le rapprochait du christianisme libéral. En fait, il se jouait de ces frontières et traçait sa route en toute liberté.
Robert était un homme d’engagement ; il était aussi un homme de conviction. Pleinement authentique dans ses engagements et pleinement authentique dans ses convictions. Ce que nous avons dit au cours de ce culte de Saint-Hippolyte, c’est que pour nous tous, cet homme avait été un vrai cadeau de Dieu.
Alain Rey
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