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Jean-Claude Basset présente le livre de Shafique Kesahvjee : l’islam conquérant

L’islam conquérant. Petit guide pour dominer le monde. Textes – Histoire – Stratégies. [Genève],IQRI[i], 2019, 231 pages.

Titre et sous-titre annoncent clairement qu’il s’agit d’un argumentaire à charge contre l’islam politique. Le ton est donné par la préface du Père Boulad qui, fort de l’expérience des chrétiens du Moyen-Orient, appelle les Européens à un « sursaut visant à remettre au centre de l’Europe les valeurs spiritualistes et humanistes qui l’ont façonnée » (p. 20).

Pour Shafique Keshavjee, « le monde est un champ de bataille dans lequel des ‘Systèmes[ii]suprêmes’ sont en compétition pour gagner de l’influence » (p. 26). Cette notion de système visant la suprématie s’applique aussi bien à des organismes économiques qu’à des organisations politiques ou des traditions religieuses ; en priorité dans ce livre, l’islam et, en contre-point, l’Occident et le christianisme ; l’islam défini comme a) spiritualité communautaire, b) projet politique et c) stratégie militaire. Telle est la grille de lecture qui sous-tend ce nouveau livre de Shafique Keshavjee, construit en trois parties de longueur et d’importance inégales.

La première partie (p. 33-65) intitulée « Diversité des musulmans contemporains » établit une utile distinction entre trois niveaux religieux : le normatif des fondements, l’effectif de la réalité historique et l’interprétatif des discours des élites. Elle reprend aussi les six catégories développées par le Père Boulad dans le contexte égyptien, rangées sur un axe arbitraire qui va de la séparation à la collusion entre religion et politique : a) l’islam laïque et libéral, b) l’islam des mystiques et des confréries, c) l’islam populaire et culturel, d) l’islam officiel et étatique, e) l’islam radical d’imprégnation et f) l’islam radical et révolutionnaire. C’est à ces deux derniers types d’islam que Shafique accorde toute l’attention, avec des citations et des exemples concrets : Arabie saoudite, Frères musulmans, Révolution iranienne, Hezbollah, al-Qaïda et Etat islamique (Daech).

La seconde partie (p.67-151) occupe la place centrale sous le titre « l’islam conquérant comme Système suprême ». La logique expansionniste de cet islam est analysée au travers de « quinze directives », choisies par l’auteur dont « l’objectif est de mettre en lumière la logique et l’efficacité du Système ainsi qu’un certain nombre de textes et de pratiques qui posent problème » (p. 67). Chaque directive est illustrée par des citations de textes dits fondateurs et conclue par une mise en perspective critique. Il s’agit successivement de 1) avoir un but élevé, 2) proposer des valeurs morales exemplaires, 3) savoir séduire, 4) créer un Système complexe protégé, 5) récompenser, fidéliser et visibiliser (sic) les partisans du Système, 6) créer un Système à sens unique, 7) connaître la force de ses concurrents et se l’approprier, 8) se poser en victime, jamais en agresseur, 9) camoufler sa Stratégie, 10) attirer, affaiblir, menacer et soumettre ses ennemis, 11) infiltrer, anesthésier et diviser les ennemis qui ne peuvent être soumis, 12) menacer et châtier les partisans du Système tentés de le quitter, 13) promettre des récompenses futures aux découragés du Système, 14) avoir confiance en la Puissance du Système, et 15) Persévérer, persévérer, persévérer… le Système vaincra. Voilà une grille que l’on aurait pu appliquer à de multiples organisations politiques, économiques ou idéologiques mais qui se trouve modelée par les objectifs de l’auteur qui vise à mettre à jour des points où des textes et des traditions islamiques sont en conflit avec les principes démocratiques et avec la déclaration universelle des Droits Humains.

Shafique Keshavjee

La troisième partie (p.152-191) intitulée « Et le christianisme ? » commence par situer l’islam en expansion par rapport au christianisme et au judaïsme et propose une nomenclature de sept types de messianisme universaliste 1) juif, 2) judéo-chrétien, 3) chrétien occidental, 4) islamique, 5) libéral et capitaliste, 6) communiste et socialiste, 7) droits de l’homme ; pour l’auteur, « Les tensions/articulations entre ces sept universalismes ou Systèmes suprêmes sont au cœur de la plupart des grandes crises de notre temps » (p.160). Sont alors reprises les même quinze directives appliquées au christianisme, mais cette fois sur un mode apologétique où les textes cités sont très majoritairement en faveur de la tolérance et de la paix et où l’histoire de leurs applications est prise en compte.

La conclusion (p. 191-200) part de la constatation que « nous vivons dans un monde féroce » et pose un certain nombre de questions critiques adressées aux musulmans ainsi qu’aux politiciens et aux citoyens, lesquelles appellent les premiers à se distancer de l’islam dit conquérant et les seconds à plus de vigilance et de lucidité à l’égard de musulmans et de communautés islamiques qui ne renonceraient pas à une stratégie de conquête.

Le livre se termine avec un glossaire (p. 203-214) riche en indications d’ordre historique, lesquelles manquent gravement dans le corps de l’ouvrage et une bibliographie thématique abondante (p. 215-231), qui fait droit aux sources de l’islam, aux différentes approches (apologétiques, académiques et critiques), ainsi qu’à divers points de controverse.

Un livre qui ne laisse pas indifférent

Par les questions qu’il pose, Shafique Keshavjee se veut lanceur d’alerte ; son appel à la vigilance dans le contexte migratoire contemporain répond aux réserves et aux craintes que suscite aujourd’hui l’islam avec les déchirements dramatiques que connaît le monde musulman, la prédominance de courants visant à une réislamisation des sociétés musulmanes et la recrudescence de l’islam comme force politique opposée à l’Occident.

1) Dans le concert des mises en garde contre l’expansionnisme musulman[iii], la spécificité du livre de Shafique Keshavjee tient à la fois à son engagement clairement affirmé de chrétien, pasteur de surcroît, et à sa concentration sur les textes dit fondamentaux, dont il appelle les musulmans à neutraliser certains passages violents (p. 195) !

2) Il n’y a pas moins de violence dans la Bible que dans le Coran. Proposer une approche de type « fondamentaliste » de textes dits fondateurs sans tenir compte de leur effectivité historique, c’est ignorer qu’une religion ne se réduit pas à ses textes même sacrés mais est faite de leur interprétation au cours des siècles, en fonction de données politiques et de contextes culturels.

3) Donner à connaître des textes agressifs ou violents, sans citer d’autres textes pacifiques, et en dehors de toute critique des sources, donne une image de l’islam réductionniste et anhistorique qui ne correspond pas à la réalité et dans laquelle la majorité des musulmans ne peuvent se reconnaître.

4) La question de la religion et de la violence dépend moins des textes fondateurs ou non que de l’utilisation qui en est faite, en fonction de facteurs politiques, sociétaux, culturels et religieux. C’est davantage le lien entre pouvoirs politiques et instances religieuses qui est source de violence – jihad, croisades, inquisition, conversions forcées et excommunications – tant du côté chrétien que musulman.

5) La comparaison esquissée dans la troisième partie, critique pour l’islam et apologétique pour le christianisme, c’est méconnaître que pour ce qui est de la violence politique, du droit des femmes, de la liberté religieuse ou de la question de l’homosexualité, l’un et l’autre sont à la traîne par rapport à la Déclaration Universelle des Droits Humains.

6) Déçu du dialogue et porté par une vision binaire du monde et de l’humanité,l’auteur s’inspire de l’expérience souvent difficile des chrétiens vivant en contexte musulman. De là découle son souci d’interpeller les autorités politiques avant toute forme de reconnaissance des communautés musulmanes dans une société dont elles ne partageraient pas les fondements et les priorités.

7) Enfin, Shafique pose des questions sérieuses à l’adresse des partisans du dialogue et de l’intégration des musulmans – les fameuses questions qui fâchent. En six mois son livre a provoqué bien des polémiques ; il est à souhaiter qu’il soit l’occasion d’un débat profond et sincère qui ne se limite pas à condamner la violence et l’intransigeance de certains musulmans, mais vise à accompagner les partisans d’une réforme de cet islam aujourd’hui empêtré dans ses contradictions patentes[iv].

Jean-Claude Basset

 

Notes

[i]IQRI = Institut pour les Questions Relatives à l’Islam, www.iqri.org, lequel ne cache pas ses liens avec le Réseau évangélique suisse.

[ii]Toujours avec un énigmatique « S » majuscule.

[iii]Notamment Sylvain Besson, La conquête de l’Occident. Le projet secret des islamistes », 2005 ; Jean-Frédéric Poisson, L’islam à la conquête de l’Occident. La stratégie dévoilée,Éditions du Rocher, 2018 ; Thilo Sarrazin a publié un livre sur le même sujet, Feindliche Übernahme. Wie der Islam den Fortschritt behindert und die Gesellschaft bedroht, FBV, 2018.

[iv]Je pense notamment à Jean-Marie Muller, Désarmer les Dieux. Le christianisme et l’islam face à la non-violence, Le Relié-poche, Gordes, 2009 ; Omero Marongiu-Perria, Rouvrir les portes de l’Islam, Atlande, 2017 ; Nayla Tabbara, L’islam pensé par une femme,Bayard, 2018.

 

 

 

 

À propos de l'auteur

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Jean-Claude Basset

Jean-Claude Basset est pasteur à la retraite. Il a été en poste à Genève et responsable du Centre protestant d'études de cette ville où il a exercé son ministère depuis 1980 (après l'avoir exercé à Téhéran et à Djibouti). Docteur en théologie de l'université de Lausanne où il enseigne, il a aussi étudié à Strasbourg, à Bangalore en Inde et à Harvard aux Etats-Unis. Il est engagé dans le dialogue interreligieux depuis plus de vingt ans.

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