Portraits

Jacques Maury, un témoin infatigable…

Jacques Maury est vraiment étonnant. À un âge quasi centenaire, il est tel qu’on l’a toujours connu : pétillant, concerné par ce qui se passe, soucieux des autres. Il se tient au courant de tout. Son bureau est couvert de dossiers et de livres qui ont été lus ou qui sont à lire. « Il me faudrait, dit-il, au moins 6 mois pour ranger et classer tout le bazar que j’ai sur mon bureau ! ». En fait, ce bazar c’est tout Jacques ! Tout est là, à portée de main. Rien n’est oublié. Des couches successives s’empilent mais rien ne se perd, rien n’est enfoui. Dans sa tête et dans son cœur, c’est la même chose. Il parle d’aujourd’hui, de Macron, des migrants, de Collomb, et de la même façon il parle d’hier, de la guerre, de l’Eglise, de la Fédé, des combats nombreux de la Cimade. Il n’oublie pas. Il n’oublie rien. Les noms et les figures de ceux qui ont accompagné sa route jalonnent son propos. Il est précis. Il ne se trompe pas. Ils sont tous là, présents, vivants. Il porte le souci des êtres. L’univers de Jacques est habité. Habité par hier et par aujourd’hui ; habité par des enjeux de vie et de combat ; habité par les hommes et les femmes qui ont accompagné ces combats. Entrer avec Jacques Maury dans son univers, c’est entrer dans un espace-temps où il n’y a pas de frontière. Les êtres, les événements, les idées, se croisent, se parlent et se conju- guent au présent. Et puis, c’est partager un moment d’une fraternité délicieuse. Je voulais être pasteur… Jacques est né en 1920 dans une famille de pasteurs et de théologiens. Il a su très tôt qu’il voulait être pasteur : « Je suis né dans une dynastie de pasteurs… J’ai sans doute voulu être pompier comme tous les petits garçons, mais très vite j’ai su que je serai pasteur ! ». C’est ainsi que pendant la guerre, il se retrouve sur les bancs de la faculté de théologie de Montpellier. Ce sont des années où il fallait faire des choix. Il s’engage alors avec la Cimade comme équipier dans le Camp de Rivesaltes. Après la guerre, il est nommé pasteur à Lezay, dans le Poitou. Pour Jacques, les années-Lezay sont des années-bonheur ! C’est Jean Bosc, alors président de la Fédé, qui vient en 1957 le chercher à Lezay. Jacques, ne voulait absolument pas partir ! Mais la Fédé est alors en ébullition. La question coloniale, la guerre froide, la guerre d’Algérie, sont les éléments de la crise. Les consciences bouillonnent. C’est pour redonner à la Fédé sa force et sa ligne d’antan, celle des années de guerre, que Jean Bosc a fait appel à Jacques Maury. Il s’y emploie comme Secrétaire Général avec toute son énergie et laissera en 1962 une Fédé qui avec les années 60 connaît de nouvelles convulsions sur des thèmes nouveaux comme le rejet des institutions ou celui de la libération sexuelle. Son souhait le plus cher est de revenir en paroisse. En 1962, il est nommé pasteur à Poitiers. C’est la période du Concile. L’âge d’or de l’œcuménisme ! Jacques vit intensément ces années-là. 1962 est cependant assombri par le terrible déraillement du Cisalpin. Jacques se trouve dans le Milan-Paris qui, le 5 octobre 1962, percute le wagon-citerne d’un train venant en sens inverse. L’accident est terrible. On relève des ferrailles tordues, 12 morts et 11 blessés. Jacques est brisé de partout. Inconscient, il est rapatrié sur l’hôpital de Montbard où les chirurgiens doivent l’amputer d’une jambe. Pendant deux mois, il restera cloué sur un lit d’hôpital à Montbard, plâtré de la tête aux pieds. Il rentre à Poitiers pour Noël. Il veut à tout prix prêcher la bonne nouvelle de la nativité. Il faut alors se mettre à plusieurs pour le monter en chaire. Pour lui, ce n’est pas Noël, c’est Pâques ! Je ne voulais pas être un apparatchick.. En 1968, l’histoire va se répéter. On vient le chercher pour entrer au Conseil national de l’Église réformée. Le 5 mai 1968, lors du synode national de Royan, il est nommé président du Conseil national. Par esprit de service, il accepte. Lui qui était si heureux à Poitiers, n’aurait jamais voulu en partir ! Ce sont des années bouillonnantes qui vont suivre. Il fera trois mandats. Il présidera ensuite le Conseil de la Fédération protestante de France pendant 10 années, puis celui de la Cimade jusqu’en 1995. L’Espérance en action Ces dernières années, Jacques n’a compté ni son temps, ni son énergie, pour rendre possible la parution du récit de la « Fuga ». Il a fait le lien avec Charles Harper et Bill Nottingham, deux anciens équipiers de la Cimade, pour qu’ils écrivent l’histoire rocambolesque de l’exfiltration de 60 étudiants angolais et mozambicains, du Portugal de Salazar. L’opération fut menée en 1961 par la Cimade à la demande du COE. Les 60 sont sortis du Portugal, sains et saufs. Ils ont ensuite occupé des postes importants dans leur pays. Ils ont tous été des leaders de la marche de l’Afrique vers l’indépendance et l’autonomie. Cette histoire de la « Fuga » résume bien ce qu’ont été d’une manière constante les fondements et les ressorts de la vie de Jacques Maury : action, engagement, audace, prière, service des hommes, service de Dieu !

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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