Plus grande que l’énigme du tragique est celle de l’espérance

Gérard Delteil – Extraits de Par-delà le silence

Le livre de Job se déroule comme un drame. Tous les repères qui soutenaient l’existence ont cédé. L’avenir est perdu. Le passé lui-même – les années bonheur – est englouti comme s’il n’avait jamais existé. Il n’y a plus que l’instant, comme suspendu au-dessus de l’abîme.

Le tourment de Job, c’est un cri sans fin et sans réponse. Il est le juste souffrant. Les amis de Job sont imprégnés de l’idée de rétribution : le bien appelle le bonheur, le mal produit le malheur. Pour eux, consoler Job, c’est apaiser son tourment en cherchant à expliquer son malheur… Leur discours supplée au silence de Dieu. Ils occupent la place laissée vide par un Dieu qui se tait…

Job proteste. La protestation passionnée de Job s’élève, passionnée, contre tous les discours religieux qui légitiment la souffrance, contre tous les systèmes d’explication qui aboutissent à la justifier… Paradoxe inouï. Job en appelle Dieu contre Dieu. Il en appelle de cette injustice qui le broie à un témoin qui le justifiera. Il y a quelque chose de pathétique dans cet acte de foi : espérer Dieu en dépit de tout ce qui le défigure. Espérer Dieu contre Dieu.

Dieu, en effet, est autre. Celui qui se révèle à Job est insaisissable. Il s’adresse à Job comme à un « tu ». Mais cette réponse laisse entières les questions posées par Job. Il nous faut faire le deuil de l’explication. Expliquer la souffrance, ce serait déjà la justifier... Non, elle n’est pas un châtiment. Non, elle n’est pas une épreuve voulue par Dieu pour nous punir. Rien ne peut la justifier. La souffrance est toujours sans raison. La souffrance est toujours en excès… C’est contre cet intolérable que Job s’insurge…

Il y a un tragique de l’histoire et de la vie. Job symbolise ce tragique… Mais le tragique ne saurait à lui seul nous dire ni le cœur ni l’ultime de la vie. Plus grande que l’énigme du tragique est celle de l’espérance« .