Revue de presse

François Clavairoly – Interview dans le Figaro du 11 mai 2021

Figaro:Clavairoly

François Clavairoly est président de la Fédération protestante de France, qui représente toutes les tendances de cette confession chrétienne, y compris les évangéliques. Le projet de loi « confortant les principes républicains », d’abord discuté à l’Assemblée nationale, puis au Sénat le mois dernier, où il a subi de nombreuses modifications, a vu se lever les protestants publiquement. S’ils admettent la nécessité de cette loi, ils sont très inquiets pour l’avenir de la liberté de culte. Avant le vote final de l’Assemblée, prévu d’ici à l’été, le projet de loi doit entrer, ce mercredi, en commission mixte paritaire réunissant députés et sénateurs. Au moment où la laïcité est souvent remise en question, la séparation entre religion et politique reste un principe capital aux yeux du protestantisme.

LE FIGARO. – Certaines tendances islamistes remettent ouvertement en question la séparation des pouvoirs politiques et religieux en France. Beaucoup voient ainsi la laïcité menacée : les protestants français partagent-ils ce diagnostic ?

François CLAVAIROLY. – Les Musulmans mais aussi tant d’autres et de toute origine n’aspirent qu’à la paix et ont besoin d’une vision compréhensive de la citoyenneté et non de discours discriminants. Cela a d’ailleurs été l’engagement constant des protestants. Après le combat pour la liberté et l’égalité, ils se sont battus en faveur d’une vision compréhensive et non discriminante de la citoyenneté. Il est donc logique pour eux de « continuer à plaider pour la reconnaissance de l’égale dignité des autres propositions religieuses présentes sur le territoire français », comme le dît très justement l’historienne Valentine Zuber, qui a retracé cette longue lutte dans son ouvrage L’Origine religieuse des droits de l’homme. Les protestants sont ainsi engagés dans cette performance de la laïcité définie comme un espace public ouvert. Faut-il rappeler que nous sommes passés, depuis 1905, d’un régime de catholicité à celui de la laïcité où l’Église catholique a appris à faire place à d’autres, tout en continuant d’exister ? La laïcité avait mis fin à un régime de monopole, dans la paix et par le génie de la République. Elle doit continuer dans cette voie.

L.F – Quand il y a menace potentielle de la République, l’État n’est-il toutefois pas dans son rôle lorsqu’il prend le dessus sur la religion ?

F.C – L’État est dans sa fonction lorsqu’il organise les règles et le droit du vivre ensemble. La laïcité est un principe qui organise le cadre dans lequel religions et convictions s’expriment librement. S’il ne s’était agi que d’organiser le culte chez soi ou dans l’espace privé, il n’était pas nécessaire d’une loi pour cela. La loi de 1905 établit la liberté du culte public et en définit les contours. Le culte est cette capacité humaine irréfragable à « cultiver » l’accueil de l’autre différent et l’autre, dans sa transcendance …

L.F – D’aucuns annoncent un choc à venir entre l’islam dur et l’État. Ils convoquent l’exemple de la lutte armée de l’Ancien Régime contre le protestantisme pour justifier une gestion musclée de ce dossier. Cela vous a fait réagir …

F.C – Il existe des discours falsificateurs mais séduisants, distillés en continu par certains chroniqueurs qui font preuve de ce que je nomme l’irresponsabilité éditoriale. Ces discours apeurés, que cherchent-ils sinon à préparer les esprits à la violence réciproque en suggérant même l’appel à l’armée dans les banlieues ? Leur capacité de nuisance est grande et j’avoue être inquiet devant le peu de réflexions critiques qu’ils suscitent sur les plateaux télévisés.

L.F – Faire barrage à l’islamisme est au centre du projet de loi « confortant les principes républicains ». Ce projet sera examiné ce mercredi par une commission mixte paritaire pour chercher un accord entre Sénat cl Assemblée nationale. Êtes-vous rassuré ?

F.C – La Fédération protestante de France a pour mission de défendre et de représenter les intérêts du protestantisme français dans son ensemble. Le projet de loi est fondé sur de réels motifs, nous le soutenons. Toutefois, une série de dispositions concernent particulièrement les associations cultuelles 1905, dont je rappelle qu’elles sont principalement protestantes, d’où notre vigilance. À ce jour, les musulmans organisent leur culte en association 1901… Le texte est à mi-chemin de son parcours législatif. Il a fait l’objet de durcissements par le Sénat mais, pour ce qui nous concerne, nous espérons que nos demandes seront entendues in fine sur plusieurs points. Dans l’article 28, possibilité de subventionnement par les collectivités locales des travaux d’accessibilité des lieux de culte et capacité à gérer des biens de rapport acquis par dons ou legs ; dans l’article 33, procédure allégée de déclaration à la préfecture pour les associations 1905, à définir par la rédaction d’un décret ; dans l’article 36, fixation d’un montant maximal des dons pouvant être reçus en liquide, là encore par décret ; dans l’article 45, délais de 18 mois pour se mettre en conformité avec les nouvelles dispositions, 24 mois auraient été si simples.

L.F – L’équilibre du projet de loi que vous avez jugé liberticide pour les cultes s’est-il amélioré ?

F.C – L’état d’esprit de ce projet se fonde sur l’idée que pour lutter contre les séparatismes, ce qui est nécessaire, il faut renforcer le contrôle des cultes par l’action du préfet et de l’administration. Cet état d’esprit n’est pas celui qui a présidé à la loi de 1905 qui établit une séparation entre les Églises et l’État. L’inquiétude est celle des croyants – et non pas seulement des protestants ! – qui s’interrogent sur ce renforcement du contrôle des cultes alors que le projet prétend renforcer les principes républicains. Un principe de « séparation de liberté » est en train de se laisser submerger par une « séparation de contrôle » et une pratique du soupçon. Chacun sait pourtant que les séparatismes sont portés par une vision délibérément politique et hostile mettant en cause la République et les cultes eux-mêmes, ici ou ailleurs dans le monde.

L.F – L’Observatoire de la laïcité vient d’être supprimé en vue d’un nouveau dispositif à venir. La laïcité française serait-elle en crise ?

F.C – La suppression de l’Observatoire de la laïcité est une pauvre réponse. Les travaux de cette instance demeurent si précieux ! Il reste à mettre en place des formations et un enseignement du fait religieux pour lever ce malentendu qui fait confondre, de façon trop commode, les dangers bien réels des radicalisations avec l’expression de la foi. La crise de la laïcité réside aussi dans cette confusion. La foi n’est pas l’irraison ou l’obscurantisme comme beaucoup, qui n’ont souvent rien lu, se l’imaginent. Elle est, comme l’écrit Paul Ricœur dans La Religion pour penser, qui vient de sortir, ressource de sens : elle enracine et donne sens au passé, et elle déracine et donne sens à l’avenir.

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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