Méditation

En marche ! Méditation sur les Béatitudes – Albert Huber

En marche !

Les béatitudes ?

Voici, pour moi, l’un des textes les plus forts, les plus pénétrants de l’Evangile.

Je vous propose ce matin de l’illustrer par 3 images.

3 images de 3 parias qui marchent sur le chemin d’une même éternité.

 

1983 : les pieds avec sandales d’un berger d’Erythrée à l’est de l’Afrique

         « …le prophète Elie marcha pendant 40 jours et 40 nuits jusqu’à Horeb, la montagne de Dieu… » est-il écrit dans le livre des Rois, 9 siècles av. J-C.

Elie, prophète d’Israël, l’un des personnages les plus populaires de la Bible. Horeb, la montagne du Sinaï en plein désert, gravie par Moïse pour recevoir les tables de la Loi.

 

Nous voici dans un autre désert foulé par ces pieds miséreux et fatigués.

Eux aussi ont marché 40 jours et 40 nuits, peut-être même plus.

La peau du dessous n’est plus qu’une corne crevassée et purulente sous le soleil.

Les sandales sont en cuir de chèvre, comme savent les fabriquer les hommes du désert depuis la nuit des temps.

Elie portait déjà les même dans sa bonne ville de Tyr au Liban.

 

Ce berger que vous ne voyez pas ici, vient de se réfugier en pays voisin, à Dikhil en République de Djibouti, aux confins d’un désert de pierres volcaniques austère et grandiose.

Au prix d’une interminable errance, il a réussi à fuir son village bombardé depuis des mois.

L’Erythrée est à l’époque une province en guerre civile d’indépendance contre l’Ethiopie, sous la féroce dictature marxiste du général Mengistu.

 

Du temps d’Elie passaient dans son pays, sur les rives de la Mer Rouge, les caravanes des marchands du désert, chargés des trésors de l’Arabie : or, encens, épices et pierres précieuses.

Un fils, né de la rencontre du grand Salomon et de la reine de Saba, serait venu jusqu’ici depuis la Judée, fonder la dynastie du Négus.

Ce qui explique que la famille de ce berger de la campagne d’Asmara est chrétienne copte…

 

Ces pieds de la douleur

évoquent dans notre imaginaire

 deux autres visions d’errance…

 

1516 : les pieds du Christ, extrait du retable de Matthias Grünewald

Au couvent des Antonites d’Issenheim en Alsace, l’imagination tumultueuse du maître de la Renaissance allemande donne naissance à d’autres pieds également meurtris : les pieds du Christ.

Ils rappellent étrangement ceux du berger d’Erythrée.

Des pieds rivés l’un sur l’autre par un clou.

Ils ne sont plus qu’un amas confus de muscles.

Leur chair et leurs ongles se décomposent…

Une vision d’un réalisme tragique.

 

Matthias Grünewald travaille 6 ans sur son retable, comme un acharné.

Son génie outrancier,

sa trop vive sympathie pour la doctrine d’un certain Martin Luther,

sa participation à la révolte des paysans…

vont faire de lui l’artiste maudit de la cour de l’Archevêque de Mayence.

         Très vite il est renvoyé.

Là aussi, une autre errance s’enclenche…

Une errance implacable.

 

  1. 1886 : la paire de souliers de Vincent Van Gogh

 

Ici ce ne sont pas des sandales en cuir de chèvre, mais des souliers en cuir de vache.

Ils sont de la même pitoyable espèce.

Ils sont immortalisés sur une autre toile célèbre, dans une chambre obscure, rue Lepic à Montmartre au cœur de Paris.

Voici d »épouvantables groles transformées de l’intérieur par les efforts des longues marches du peintre et l’acidité de la transpiration.

Vincent Van Gogh , fils de pasteur réformé, étudie la théologie.

II vit un temps la dure existence des mineurs du Borinage pour essayer de les faire émerger à la lumière.

Le succès n’est pas au rendez-vous…

Cette lumière, du coup, va l’entraîner à corps perdu dans la peinture impressionniste et cela jusqu’au délire.

Le point culminant de cette autre errance : dans un champ de tournesols, une nuit d’été, il se coupe l’oreille.

Il finira en se tirant une balle dans le ventre.

Aujourd’hui ses toiles sont précieusement conservées dans des coffres climatisés, jusqu’au pays du soleil levant, le Japon.

Extraordinaire constat lorsque l’on rapproche cette paire de souliers de Van Gogh, des pieds du Christ de Grünewald.

Il aura donc fallu attendre près de 4 siècles – de 1516 à 1886 – pour que ces pieds trouvent enfin des chaussures qui leur soient accordées !

 

Un berger anonyme en Erythrée,

 Matthias Grünewald à Issenheim

et Vincent Van Gogh à Montmartre :

par delà les siècles, trois itinéraires à méditer,

trois parias à l’errance torturée ,

trois marcheurs vers un même éternel de violence et de tendresse,

 de sérénité et de douleur.

 

L’éternel précisément du Christ cloué sur une croix,

à Golgotha en Palestine,

il y a 2000 ans.

 

L’éternel aujourd’hui de ce Proche-Orient

qui n’a de cesse de nous renvoyer d’autres images :

des images de ce Dieu vivant

que l’on essaye depuis trop longtemps d’effacer

sur une terre  où le sang coulé ne sèche jamais.

 

Albert Huber

À propos de l'auteur

mm

Albert Huber

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.