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De la thérapie à la visitation

C’était tout au début, lors d’une de ces séances où le patient a beaucoup à dire. Soudain, elle se leva la larme à l’œil parce que dit-elle  » je ne pourrai plus revenir ». Elle avait décidé de suivre son compagnon envoyé en urgence dans un pays étranger. Ne parlant que le français elle devait renoncer à toute thérapie visant à la libérer de son addiction au cannabis et autres drogues occasionnelles.

Je lui proposais alors de continuer le travail commencé en prenant quatre fois par semaine un temps de 25 mn pour s’allonger sur son divan qu’elle prendrait soin de déplacer le temps de la séance afin de bien différencier l’espace de « la thérapie ». Je lui suggérais d’apposer, face à elle un objet qu’elle trouvait beau : un tableau, un bibelot, un bouquet de fleur. La beauté fait taire la pensée, elle mène à la contemplation. Je lui recommandais de ne pas écourter ou rallonger le temps de la séance quel que soit le sentiment éprouvé. Enfin, je lui répétais la consigne : « dites à haute voix tout ce qui vous passe par la tête. Tout est important, vous dites toujours la vérité. Et si vous avez parfois le sentiment d’être à côté de la plaque, dites-vous qu’il en est toujours ainsi. Ce que vous n’aurez pas pu ou pas su dire est aussi proche de la vérité que ce que vous aurez pu exprimer. Le moment viendra où cette vérité vous rendra libre ». Ainsi je lui confirmais la règle des associations libres énoncée par Freud tout en supprimant l’analyste ! Je ne l’invitai pas à la guérison mais à la liberté. Quelle folie ! Elle attendait la guérison. Elle pensait qu’il fallait raconter sa vie passée pour que le thérapeute et le patient puissent comprendre et intervenir. La thérapie est dans ce cas une rééducation adaptée et volontaire visant le retour à la normale. J’insistais, soulignant que je lui proposais ici une méthode moins contraignante qui ne cherche pas à savoir et à comprendre mais à se laisser porter par le déroulement d’une histoire ignorée mais toute nouvelle et jaillissante. Son dire la conduirait vers un ailleurs qu’elle ne pouvait imaginer. La voyant encore hésitante, je lui précisais qu’elle pouvait s’adresser à un inconnu qui lui rendrait très certainement visite un jour ! Toujours soupçonneuse – probablement de par ma fonction de pasteur – elle précisa qu’elle ne croyait pas en Dieu et qu’elle ne s’adresserait pas à lui. Je lui confiais que son incroyance ne pouvait que l’aider dans la démarche proposée.

Je n’étais pas fier de ma proposition tout à fait étrangère à la thérapie classique où l’on s’acharne à chasser le symptôme pour guérir le patient tout en prenant soin d’ignorer le transcendant et l’invisible. Je voyais mes détracteurs m’enfermer dans la sphère du mystique, m’accusant de vouloir utiliser la religion à des fins thérapeutiques.

Deux ans plus tard, poussant un landau, la jeune femme me reconnut et m’accosta dans une rue de la ville. Elle était revenue fêter Noël avec ses parents. Je la félicitais pour le beau bébé qu’elle promenait. « Vous savez me dit-elle, je ne prends plus de drogue. Tout va bien. Ma vie a changé. Puis elle ajouta dans un heureux sourire quelque peu malicieux : « J’ai été visitée ».

Je n’ai pas demandé qui était le visiteur. Le plus souvent c’est un inconnu, un étranger. Jacob a lutté avec le sien jusqu’au petit matin. Abraham reçut trois hommes sous sa tente. La nuit suivante, je rêvais d’une vierge toute de bleu vêtue. Elle n’était ni figée ni statufiée, elle ne trônait pas sur un piédestal, elle ne surveillait ni ne bénissait. Toute en légèreté, aérienne, fondue dans le bleu du ciel, telle une ondine céleste, elle allait au gré du vent, ivre de liberté. Je me suis souvenue que Marie avait été elle aussi visitée. Ce mot semblait en ce temps de Noël, être à l’origine de mon rêve. Est-ce lors de cette visitation que Marie est devenue vierge, non pas vierge de sa sexualité, mais vierge de toutes sortes de dépendances qui la rendaient inapte à l’enfantement du fils de Dieu ? La théophanie serait-elle source de virginité et de liberté ? Ah comme elle se sentait libre, comme elle était heureuse la jeune femme poussant son landau, le bébé lui souriant…en ce temps de Noël.

Serge Soulié

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