Les livres Théologie

Coup de cœur, par Olivier Pigeaud !

François Jullien, Ressources du christianisme, L’Herne, 2018, 8 €

Il y a assez longtemps que je n’ai pas lu un écrit aussi stimulant ! Il s’agit de Ressources du christianisme, mais sans y entrer par la foi, éditions de L’Herne, mars 2018.  Ce petit livre, le trente-huitième du philosophe, helléniste et sinologue François Jullien, est en effet hors cadre, du mien en tous cas.

Il commence par refuser l’évitement actuel du christianisme dans le monde intellectuel et dans la société en général. Sans vouloir ramener le christianisme dans le giron de la raison, mais sans le situer contre la raison et sans même chercher à l’expliquer, il se demande s’il n’a pas ouvert à l’homme (en l’homme) de nouveaux possibles. Dans un second préambule il explique ce qu’il entend par ressource : ni valeur, ni richesse, ni racine, une ressource est largement offerte et n’a d’effet que pour celui qui la reçoit et la met en œuvre. Pour F. Jullien les ressources du christianisme se trouvent particulièrement dans l‘Evangile de Jean et il va tout au long de ce qui suit les mettre en valeur.

Il explique d’abord que, pour Jean, un événement est possible, privilégiant la traduction d’egeneto par advenir contrairement à bien des traductions du prologue et bien d’autres passages de son évangile. Un advenir ouvre un avenir qui n’est pas déjà contenu dans ce qu’il l’a précédé et qui fait lever le l’inouï dans la vie.  Quelle vie ? Non pas la vie bios régie par la psuché, mais la vie zoé de l’absolument vivant, expansive, qu’il ne faut pas intellectualiser ou symboliser mais dégager. Ce dégagement qui est une dé-coïncidence permet de s’extraire de l’aliénation-adaptation à soi-même comme à son monde. Elle a son départ en Dieu même tel que le décrit de prologue de Jean. La dé-coïncidence est dans la vie même, elle est la vie même, se promouvant elle-même en vie.

Cela amène à reconfigurer la vérité, qui n’est pas l’ultime donné transcendant auquel il faut s’ouvrir. Dans la déclaration de Jésus Je suis le chemin, la vérité, la vie, le dernier mot n’est pas la vérité, mais la vie même pour laquelle la vérité n’est qu’une voie d’accès. Et c’est le sujet qui est au départ de la vérité, et c’est dans la figure du Christ qu’est l’ipséité absolue du sujet.  Jean propose donc une ex-istence qui permet, en se tenant hors du monde d’habiter l’Autre. C’est en ex-istant que le sujet peut passer du régime de psuché, de l’attachement à son être vital dans le monde à zoé, la vie surabondante excédant effectivement la mesure de ce monde. Pour cela l’amour est ressource promouvant un absolu non pas dans la voie grecque, philosophique de l’erôs mais dans la voie de l’amour agapé où se révèle l’ipséité du sujet singulier. Un amour expansif sur quoi se fonde le « christianisme » dans l’histoire du Christ. Et qui se révèle pleinement après la mort de l’Autre.

Pas de véritable conclusion. En reprenant le sous-titre du livre on peut se demander si on en est arrivé à la foi, ou si on est resté à l’appropriation de ressources intellectuelles. Ce qui est certain c’est qu’il n’a pas d’incompatibilité entre la pensée et la foi.  Mais sur les rapports existentiels entre eux, sans même poser le problème, François Jullien laisse le lecteur se situer.

Il s’agit donc d’un écrit très riche où les accointances de François Jullien avec les pensées grecque et chinoise, donnent souvent du relief à ce qu’il dit du christianisme. Mon résumé est réducteur mais j’espère qu’il peut donner envie de le lire François Jullien, même je ne dit que maladroitement tout ce que l’on peut en tirer de sa pensée, directement ou dans un second temps de réflexion. Le texte lui-même est relativement simple et fait assez peu appel à des données philosophiques abstraites, sauf en ce qui concerne la pensée de cet autre philosophe très important et méconnu du christianisme qu’est Michel Henry. Il est vrai qu’il est dense et demande un effort. Mais l’advenue de pensées inouïes, pour reprendre deux mots clés, aide à redéfinir, à dé-coïncider, à approfondir.  Pour ma part, outre des propositions importantes de relecture de Jean, j’ai été amené à me poser des questions, en ce qui me concerne, sur la part de ma connaissance du christianisme et la part de ma foi. Gnose et/ou foi ?

Si vous avez des réactions elles m’intéresseront beaucoup !

Olivier Pigeaud

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Olivier Pigeaud

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