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Centenaire de Madeleine Jacot-Verdeil

Allocution de Jean-Noël Cordier – Professeur de Lettres honoraire, ancien vice-président de la Société des poètes français

7 décembre 1919 – Foyer de Générargues

Nous sommes réunis en ce jour, et en ce lieu tout proche de Picadénoux pour célébrer le centenaire de la naissance de notre amie Madeleine Jacot-Verdeil. C’est en effet le 7 décembre 1919 qu’elle vit le jour et nous sommes aujourd’hui le 7 décembre 2019 !

Jean-Noël Cordier

Cent ans jour pour jour ! Madeleine Jacot-Verdeil eut une longue vie, puisqu’elle nous quitta le 15 novembre 2015, peu de jours, donc, avant son 96èmeanniversaire. J’ajoute qu’elle bénéficia jusqu’au bout d’une solide santé, puisque le jour même de sa mort brutale, elle avait encore conduit sa voiture, ainsi que d’une acuité intellectuelle parfaite puisque six jours avant sa mort, elle animait encore son groupe de rencontres. En fait, sa mort nous surprit tous car nous avions le sentiment que sa solidité la rendait éternelle… Mais si Dieu nous a promis l’immortalité de l’âme, il ne nous a pas promis l’éternité sur terre…

Lecture 1 : Un jour viendra – À Samuel-Pascal

Un jour aussi viendra couleur de mer qui chante

Où ta barque, amarrée au port, s’éveillera

Et dansera d’amour sur la vague géante

Dans les bras du soleil qui la caressera.

 

Ce jour-là, vers l’enfant qui marche dans ton ombre

Tu tendras tes deux mains… et alors, ce sera

Le plus clair des matins sur la nuit la plus sombre

Et ta barque, légère, au large glissera.

 

Puis tu aborderas sur l’île au cœur de l’Être

Et les fruits seront mûrs dans un verger nouveau,

Terre du Vrai, loin de l’Avoir, loin du Paraître…

Sur un arbre vivant nichera un oiseau

 

Et l’oiseau redira les mots d’une promesse

Pour toi tout seul : « Il tient le monde dans Ses mains !… »

Et tu liras ton nom en lettres d’allégresse

Dans le poème offert au vent des lendemains.

 

Madeleine Jacot-Verdeil était donc née le 7 décembre 1919 à ce qui était alors le presbytère de Béthanie et aujourd’hui le Centre Carrefour Béthanie. Son père, Paul Verdeil, était pasteur en la paroisse de Bagard et Boisset-et-Gaujac. Sa mère, Alice Gruner, venait de Genève.

Après une enfance à Bagard, elle fut élève au Lycée de jeunes filles d’Alès où elle obtint son baccalauréat. Elle fut ensuite étudiante en classe préparatoire aux grandes écoles à Montpellier, en hypokhâgne et khâgne, puis s’inscrivit en cours de licence, toujours en français-latin-grec, à la faculté des Lettres de Montpellier où elle eut, entre autres, comme professeur, Pierre Jourda, éminent spécialiste de Rabelais. Tout cela en pleine période de guerre et d’occupation. Ayant obtenu ce qu’on appelait alors Diplôme d’Études Supérieures (DES) qui correspondait à la maîtrise ou au « master » d’aujourd’hui, tout en étant engagée dans le scoutisme, elle prépara l’agrégation de grammaire à la faculté des Lettres de Lyon. Mais en cette année particulièrement difficile de 1943, elle comprit que son avenir était ailleurs. Elle n’enseigna donc qu’une année au Collège Protestant Samuel Vincent à Nîmes sous les bombardements des Alliés.

Elle s’engagea donc dans des études de théologie à Clermont-Ferrand, puis à Strasbourg récemment libérée, de 1944 à 1946. Ce fut là qu’elle rencontra Albert Jacot, qu’elle épousa le 10 avril 1947 à Milhaud, près de Nîmes. Albert Jacot était pasteur missionnaire. Le couple partit donc pour la Polynésie, où ils résidèrent durant 13 ans, en incluant une année de congé en France métropolitaine en 1954-55, qu’ils passèrent à Générargues, à Picadénoux justement, où les parents de Madeleine passaient leur retraite dans une maison de famille. Quatre enfants naquirent de cette union, Téva ici présent, Lytta ici présente, Thierry ici présent et grâce à qui nous bénéficions de cette salle, et Muriel.

Après une année à Alès à leur retour de Polynésie, Madeleine Jacot-Verdeil, qui s’était beaucoup impliquée dans le travail de mission, continua à épauler l’action pastorale de son mari dans les trois paroisses dont il fut successivement le pasteur, en particulier dans les mouvements de jeunesse qu’il avait créés et développés avec conviction et amour, les UCJG (Union Chrétienne de Jeunes Gens), les louveteaux et éclaireurs, les anciens catéchumènes, à Ribaute-les-Tavernes, Calvisson et Quissac. Quand elle se remémorait toutes ces années, Madeleine y voyait « une aventure magnifique (qu’elle était prête àrevivre) même s’il y avaiteu beaucoup de souffrance ». Et elle ajoutait : « à travers les tunnels, la vie (s’était) glissée dans la vie et toujours l’amour (avait été) le plus fort ».

 

Lecture 2 :  Nos jours et nos nuits – A mon mari 

J’ai cueilli pour toi un bouquet de vie

Au petit matin du jour indécis.

Entre Je soleil, l’orage et la pluie

J’ai fleuri pour toi tout notre logis.

 

Boutons de soleil, bourgeons d’allégresse,

Au creux parfumé d’un premier printemps,

Lumineux matin de notre tendresse,

Guirlande d’amour aux lustres du temps.

 

Grappes de bonheur aux vertes tonnelles.

Floraison d’enfants aux berceaux d’été,

Semailles de Dieu, moissons immortelles,

Pousses du jardin de l’Éternité.

 

J’ai cueilli pour toi dans un cimetière

La gerbe de pleurs de notre chagrin

Mais j’entends sonner – Pâques de lumière –

Le blanc carillon d’un nouveau matin.

 

Puis ce fut l’installation définitive à Picadénoux en 1983, période dont beaucoup de ceux qui sont présents aujourd’hui se souviennent encore. Après le retour à Dieu de son cher mari Albert en juillet 1999 – vingt ans déjà- Madeleine continua de vivre à Picadénoux aussi intensément jusqu’à son dernier souffle : cours de philosophie pour le troisième âge à Alès, cours d’anglais, groupe de partage mensuel qu’elle avait créé avec son mari Albert, et qui existe toujours aujourd’hui. J’aperçois plusieurs de ses membres dans cette salle. Et j’eus l’insigne privilège, en tant que Vice-Président de la Société des Poètes Français, d’y faire recevoir Madeleine directement en tant que sociétaire, au vu de son œuvre poétique féconde et significative. Il m’arriva d’animer avec elle son groupe de recherches et de rencontres. Nos liens se resserrèrent au point que je considérais Madeleine comme ma seconde maman, puisque la mienne m’avait été enlevée.

Les seize dernières années de sa vie, Madeleine fut entourée de ses quatre enfants et leurs conjoints, ses dix petits-enfants et ses onze arrières petits-enfants, faisant de Picadénoux un lieu d’accueil, de rencontres, de silence et de prières pour ses innombrables amis, un lieu d’écriture, bien sûr, encore et toujours, en somme une maison, lui disait-on souvent, qui « avait une âme ». Madeleine Jacot-Verdeil s’éteignit brusquement, sans souffrance, le 17 novembre 2015, alors que nous avions fini par la croire éternelle ! La dernière fois que je la vis, c’était à la fin d’octobre 2015 à l’occasion du baptême de ma fille Blanche, événement au cours duquel elle tint encore conversation, en particulier avec notre ami Pierre Unger avec qui elle échangea des arguments ! Je lui avais encore téléphoné comme je le faisais toutes les semaines, trois ou quatre jours avant sa mort. Ce fut notre dernière conversation.

Cette riche et longue vie, que je viens d’évoquer, et qui connut de nombreuses grâces, entre autres celle de mourir dans une parfaite intégrité du corps et de l’esprit, beaucoup d’entre nous la connaissent bien. A elle seule elle suffirait à établir une honorable notoriété, et justifierait que l’on évoquât sa puissante et significative personnalité.

Mais ce que moins de gens savent, c’est que Madeleine laisse une œuvre poétique importante et significative., d’une haute exigence intellectuelle. Tout au long de son existence, et jusque dans ses ultimes années, la création poétique ne fut jamais pour elle une activité secondaire, décorative ou mondaine pour « jeune fille de bonne famille ». Voici ce qu’elle confesse sur la quatrième de couverture de son recueil Naissancesen 2001 : « La poésie est pour moi une langue première, celle de l’enfance qui « savait » … « Pour moi, la poésie est prière, visage entrevu de la Grâce, appel, louanges, accueil de l’inconnu. A travers mon chemin de poèmes, j’ai vécu l’expérience d’une longue libération comme si celui que nous appelons Dieu me disait personnellement des mots d’amour ».

On le voit, Madeleine Jacot-Verdeil était un authentique tempérament littéraire et la créativité poétique représenta toujours pour elle une nécessité absolue, presque vitale, ne profonde et impérieuse expression de ses émotions et de sa sensibilité, bref, une part déterminante de sa personnalité. Et elle finira par avouer, lors de la publication de Naissances « si j’ai longtemps écrit pour survivre à l’angoisse de vivre et pour exorciser la mort, l’heure est venue, pour moi, après tant de morts et de naissances, d’écrire un poème nouveau racontant une naissance extraordinaire, celle de la Joie qui demeure ». 

Aussi cette œuvre poétique est-elle abondante, entre les collaborations occasionnelles et ponctuelles à de nombreuses revues, et sa présence dans un certain nombre d’anthologies, telle l’anthologie des poètes protestants d’aujourd’hui, mais aussi le blason des poètes, des poètes chantent l’amour, nos amies poètes, Anthologie des poètes femmes au XXème sièclesans compter ses nombreux recueils dont je vais énumérer les titres dans quelques instants.

 

Lecture 3 : Souvenirs d’amour

Souvenirs d’amour, que nous voulez-vous ?

Légers êtes-vous comme un vol de neige.

Souvenirs d’amour, entrez donc chez nous.

Les enfants rieurs vous feront cortège.

 

Venez nous conter les soirs embrumés

Où s’endormait l’Ill sous un ciel morose.

Venez nous conter les prés parfumés

Où l’avril dansait en tunique rose.

 

Venez nous sonner l’angélus très doux

De la ville grave à la flèche ardente.

Venez nous sonner les carillons fous

De notre amour neuf en sa foi fervente.

 

Venez étaler vos trésors jaloux

Sur la table rouge aux carreaux de joie,

Venez étaler joyaux et bijoux

Aux écrins vivants des boucles de soie.

 

Beaucoup d’entre nous ont eu entre leurs mains l’un ou l’autre de ces recueils.

 

  • Collier d’amour, poèmes tahitiens, La Tour du Pin, 1957, « dédié à mon père qui m’a donné l’amour des Lettres »
  • Mon île, poèmes, Barré et Dayez, 1982
  • Quand la colline se pare de joieBané et Dayez, 1987
  • Le chant des bateliers, Barré et Dayez, 1993
  • Naissances, Labor et Fides, 2001, Genève
  • La liberté….Une aurore, Tekhelet, 2006

 

Accompagnent ces cinq recueils un roman, publié chez Henri Péladan à Uzès en 1972 : Le lagonespérance, des contes : Contes au clair de lune, chez Barré et Dayez en 1993.

Mais au-delà de ces éditions officielles, Madeleine Jacot-Verdeil n’hésita pas à publier en autoédition – les poètes connaissant bien la difficulté de publier de la poésie – un autre recueil de poèmes donc : Filigrane,  en 2011 – elle avait alors quatre-vingt-douze ans – un recueil de prose poétique et de poèmes versifiés, L’ancre et le large, en 2004, des Contesà tire d’aile en 2010 – quatre-vingt-onze ans – Quand les tout petits racontent leur monde où souffle le vent en 2012 – quatre-vingt-treize ans – en n’oubliant pas Le jardin aux perles bleuessouvenirs d’enfance en 1999, dont la première de couverture est ornée d’une charmante photographie d’une petite fille souriante tenant son nounours dans ses bras, celle de Madeleine enfant.

Comme on peut s’en apercevoir par cette énumération, l’œuvre littéraire de Madeleine Jacot-Verdeil est abondante – quatorze ouvrages publiés – diversifiée, et la moitié d’entre eux sont consacrés à la poésie. En outre, cette création poétique continue, s’étend sur de très longues années, depuis la jeunesse, même si la première publication ne remonte qu’à 1957, la dernière étant de 2012. Soit plus de soixante années, et même davantage, puisque j’ai retrouvé des poèmes inédits écrits en mai 2014. J’ai même trouvé un poème du recueil Mon île de 1982, remanié en janvier 2015, l’année de sa disparition. Elle avait alors quatre-vingt-quinze ans ! Cette longévité créatrice exceptionnelle nous autorise à affirmer que la création poétique accompagna Madeleine tout au long de son existence, presque jusqu’à son dernier souffle, sans le moindre fléchissement de la qualité d‘inspiration ou de la facture de l’écriture poétique.

 

Lecture 4 : Carnet manuscrit mai 2014

 

La mer toujours recommencée

Paul Valéry

 

Toujours la mer et sa fidélité

Tu es la mer fidèle

De nos longues enfances

Tu riais sur le sable

Aux matins de tendresse

Si fidèle,

Quand nous marchions

Seuls, sans amour,

Sur des plages abandonnées

 

À nos cœurs d’enfants tu disais

La comptine qui nous berçait

Avec les vagues du sommeil

Si loin dans le passé

 

Raconte-nous. Raconte encore

Pour réveiller au fond de nous

Cet enfant de l’Amour

Qui dort au cœur vivant de la bénédiction.

 

Raconte encore.

Raconte-nous.

 

Il convient à présent de préciser en quoi consiste l’art poétique afin de ne pas se méprendre sur sa signification, sa nature, ses formes et contenus, et afin de dissiper certaines erreurs communément admises. D’abord, il ne faut pas confondre poésie et versification. En effet, il ne suffit pas d’écrire en vers comptés, rimés ou bien troussés pour être poète. On peut très bien écrire, par exemple, une recette de cuisine en vers réguliers. Cela ne fera pas pour autant de leur auteur un poète. Je renvoie à cet égard au célèbre conte d’Alphonse Daudetle sous-préfet au champ, qui se moque gentiment de la manie de versifier. On peut très bien écrire des dodécasyllabes réguliers, appelés communément « alexandrins », tel ce célèbre et … cocasse exemple : « le train ne peut partir que les portes ferméesprière de ne pas gênerleur fermeture ». De tels vers, réguliers cependant, ne feront pas de vous, bien sûr, un poète ! Alors, dans ces conditions, qu’est-ce donc que la poésie ?

C’est le premier de trois grands genres littéraires, et pour les Anciens, le plus noble, suivi du roman et du théâtre. La poésie n’est donc pas un art mineur, même si elle n‘est plus guère prisée de nos jours par un large lectorat. Le terme « poésie » désigne le genre, et le terme « poème » désigne le texte. Mais ces deux termes proviennent tous deux de la racine grecque « poieïn » qui signifie « créer », « fabriquer », façonner » ce qui suppose un travail singulier sur la langue.  Le vers, la rime et leurs codifications, ce qu’on appelle la métrique, et la prosodie, en sont bien sûr les plus évidentes marques. Toutefois il existe infiniment d’autres contraintes, autres que le vers et la rime, qui sont, elles aussi, les marques de ce travail particulier sur la langue. Par exemple le vers libre, d’une pratique extrêmement difficile contrairement à ce que l’on pourrait penser, et la prose poétique, également d’un emploi difficile et délicat. Ces deux dernières formes comportent leurs contraintes en elles-mêmes et supposent une pratique aguerrie de l’écriture. Madeleine Jacot-Verdeil a usé de tous ces outils avec talent, et le vers libre, d’ailleurs, semble avoir été l’une de ses prédilections, même si elle avait parfaitement maîtrisé des formes fixes très difficiles comme l’acrostiche, et tel ce sommet que nous allons entendre à présent. 

Lecture 5 : Contemplation

 

Ciel et mer à midi reposent leur splendeur.

Dardant leurs regards bleus au secret de leur rêve,

Deux mondes embrasés se contemplent sans trêve,

Royaumes d’oraison, de grâce et de douceur.

 

Mer, bleu printemps perpétuel aux arbres blancs,

Moisson de neige au vol effréné des faucheuses,

Éternel devenir des eaux voluptueuses,

Brusques assauts démentiels des ouragans !

 

Ciel éperdu. Coupe gigantesque et légère

Couvrant d’un baiser vaporeux la mer altière …

L’horizon coud ces deux mondes bleus d’un trait pur.

 

Barrière à tout désir, parfaite rectitude.

Fil sans défaut tissé par un fuseau d’azur.

Au doute humain signe divin de certitude…

 

Mais ce qui constitue la matière même de l’art poétique sont la musique et l’image, autrement dit la mélodie des mots, et l’art de la métaphore. Ce sont elles, en effet, qui participent de l’émotion indispensable à l‘art poétique, quelle que soit l’origine et la nature de cette émotion. Madeleine Jacot-Verdeil use abondamment des images, ce que lui fait remarquer le Professeur Henri Hatzteld dans une lettre du 29 avril 2001, à propos de la publication de son recueil Naissances : « Vous avez une richesse d’images… » lui écrit-il, tout en évoquant l’art de la musique verbale : « de beaux vers… et mieux qu’un vers, la ronde qu’ils forment en se donnant la main ».  

Car un poème n’a pas pour finalité d’expliquer, de narrer, ni même de décrire, mais bien d’émouvoir le lecteur ou l’auditeur. A cet égard, c’est bien la diction qui révèle la pertinence poétique, sa force et sa beauté. De sorte que la maîtrise de la musique et de l’image autorise d’écrire sur presque n’importe quel sujet, transfigurant celui-ci, qui pourrait sembler banal, en œuvre d’art. Un peu comme le peintre J.B. Siméon Chardin, au XVIIIème siècle, fait d’une pomme à demi-épluchée sur une table, accompagnée d’un vieux couteau et d’un verre de vin, un véritable miracle artistique. C’est la raison pour laquelle la thématique de l’œuvre poétique de Madeleine Jacot-Verdeilest étendue, diverse et variée. « Mespoèmes disent la vie » affirmait-elle.

Or la vie, chacun de nous le sait, constitue un entrelacs d’émotions complexes, diverses et parfois contradictoires, qui s’exprime sur les plans divers de la personne humaine. En particulier celui de l’émotion, mais aussi celui de l’intellect et du spirituel, autrement dit la célèbre tripartition paulinienne, « corpus », animus », « spiritus ». Or l’œuvre poétique de Madeleine Jacot-Verdeil exprime ces divers niveaux de la personne humaine. Évoquons donc à présent l’orientation thématique de cette œuvre.

L’émotion, d’abord, avec l’évocation de l’enfance, de l’amour conjugal par exemple. L’émerveillement face à la beauté de la nature, en Polynésie en particulier. L’étonnement poétique devant le chant de l’eau sur la mousse, ou l’évocation du soleil d’automne sur la Camargue. L’intellect ensuite, avec les interrogations sur l’art poétique, sa nature et ses finalités, les mots auxquels le poète fait appel, le don poétique. Le spirituel, enfin, avec l’évocation, par exemple, du rêve de Jacob, l’offrande poétique à Dieu, à la création, la joie spirituelle. L’interrogation sur le mystère de la vie et de la mort – Eros et Thanatos – le désespoir de vivre, comment apprivoiser la sienne propre, comment l’envisager heureuse, la « bonne mort » comme le préconisaient les Anciens Chinois, ou encore la douleur d’une mère qui a perdu son enfant ? C’est la raison pour laquelle sa poésie touchait un large public qui se sentait rejoint dans sa détresse, sa quête de Dieu et son ouverture à la joie. En définitive, toute cette thématique constitue la matière même du chant poétique de Madeleine Jacot-Verdeil, et qu’elle appelle « le chemin de la vie ». En somme, une poésie sensible, optimiste mais lucide, portée par la grande force de l’amour, une foi lumineuse, et la ferme conviction de l’amour de Dieu. Sans oublier l’humour, l’ironie cinglante contre l’étroitesse d’esprit, la cuistrerie, les dogmatismes ou les théologies racornies. Madeleine est demeurée tout au long de sa vie un esprit libre.

 

Lecture 6 : Comptine tendre

 

C’est le matin,

Mon gai lutin.

Pose trois pignes dans ma main :

Passé, présent et lendemain.

Tes petits doigts font le destin.

Du mal, du bien, tu ne sais rien.

Pose trois pignes dans ma main.

Tu es l’amour sur le chemin.

 

Avant de terminer, je voudrais vous livrer ce qu’écrivait le 27 juin 2001 Fabienne Cellerier dans La vie protestante à propos de la publication à Genève chez Labor et Fidès du recueil Naissances : « les poèmes de Madeleine Jacot-Verdeil nous plongent tous dans un univers liquide : la mer, longuement contemplée, est pour la poétesse le lieu de mort et d’enfantement, de passion et d’apaisement. Peuplé de citadelles englouties, de nuages, de nuits et de vagues, ce monde féminin se dévoile en des mots forts, des cris ou des silences qui, sans fin, disent la longue naissance vers la paix de Dieu ».

 

Audition du récital« Mes poèmes disent la vie ».

 

Sur une terre étrangère, un homme marche, toujours plus loin de sa maison.

Le soleil est couché. La nuit vient. Aucune demeure en vue.

L’homme est fatigué. Il se couche sur le sol, la tête appuyée sur une pierre.

Il s’endort. Il rêve.

Il voit une échelle si grande, si haute, que son sommet touche les cieux.

Des créatures de lumière, des anges, descendent et montent le long de l’échelle.

Tout en haut, se tient quelqu’un qui regarde l’homme couché par terre et qui lui dit : « Va en paix ! ».

C’est un rêve étrange, gravé depuis des siècles dans des mémoires d’hommes.

Précieux comme l’or.

Fatigués de nos routes, nous marchons dans la nuit…

Saurons-nous, avant l’heure de notre mort, voir l’échelle dont le sommet touche le ciel et ces anges qui montent chargés de nos appels et qui descendent porteurs de messages ?

Dans la nuit saurons-nous discerner la présence d’un être insaisissable vers lequel s’élèvent nos mots, nos mélodies, les appels de nos cœurs, et entendrons-nous les paroles de vie qu’il prononce pour nous, dans notre nuit ?

 

 

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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