Souvenirs
Pour beaucoup de ceux qui y ont vécu autrefois, l’Algérie éveille la nostalgie d’une époque révolue, et ravive les blessures d’une guerre cruelle et de ses suites traumatisantes. J’ai cédé à la nostalgie, en retrouvant la maison d’Oran où j’ai habité, enfant, il y a soixante ans; en contemplant la rade de Mers-El-Kébir, où, en 1940, les anglais ont attaqué la flotte de guerre française, parce qu’ils craignaient qu’à la suite de l’armistice les allemands s’en emparent (1300 marins français tués); en parcourant à Alger la rue Michelet, et en remontant, depuis les Facultés et la Grande Poste jusqu’à l’immeuble de l’ancien Gouvernement Général, ce Forum lieu de tant d’agitations entre 1958 et 1962.
L’Algérie se souvient-elle de ces événements qui nous ont tellement marqués ? Même si dans les villages de Kabylie, j’ai été impressionné par les longues listes de noms sur les monuments aux morts (bien qu’étant un « ancien combattant » de la guerre d’Algérie, je ne m’étais pas rendu compte qu’elle avait fait autant de victimes), j’ai eu le sentiment que ce conflit se situait dans un temps bien lointain pour ce peuple où les moins de quarante ans constituent l’immense majorité. En tout cas, je n’ai perçu aucune animosité ni hostilité, bien au contraire, à mon égard.
J’ai redécouvert l’extraordinaire beauté de ce pays : sa mer au bleu profond et vif, ses magnifiques plages alternant avec des pittoresques côtes rocheuses, les villages et les vallées du Djurdjura dont les sommets, qui culminent à 2300 mètres, étaient encore enneigés en avril. Si on y ajoute le désert et les ruines romaines, quel potentiel touristique aurait ce pays, si la sécurité y était mieux assurée ! Il ne faut cependant pas exagérer cette insécurité : si elle est réelle, on court cependant moins de danger en Algérie aujourd’hui que durant la guerre d’indépendance.
Protestantisme
Des algériens protestants ? Il y en a, et plus qu’on ne pense (même s’il s’agit d’une infime minorité dans la population). Je m’attendais à trouver des Églises composées surtout d’étrangers. À Alger la paroisse est assez internationale, mais partout ailleurs les assemblées comprennent surtout et parfois exclusivement des algériens. Dans les villages de Kabylie se multiplient de petites communautés vivantes, chaleureuses, qui se réunissent pour lire le Nouveau Testament, prier et chanter. Au synode auquel j’ai assisté, huit d’entre elles demandaient leur affiliation à l’Église Protestante d’Algérie (composée jusqu’ici de quatre communautés), démarche qui n’est pas dépourvue d’une certaine ambiguïté : s’il y a un désir certain de communiquer et de communier, l’entrée dans l’E.P.A. présente aussi l’avantage, non négligeable, de conférer un statut légal.
Pourquoi cet attrait pour l’évangile ? Réaction de kabyles hostiles aux arabes qui s’identifient avec l’Islam, et désireux de s’en démarquer ? Peut-être, en partie, mais il y a quelque chose de beaucoup plus profond. Une jeune fille de dix-huit ans, et une jeune femme d’une trentaine d’années, qui ne se connaissent pas, me l’ont expliqué en termes presque identiques : alors que l’Islam leur avait donné l’image d’un Dieu de la loi, qui légifère, pose des commandements et des interdits, qui sanctionne et juge, l’évangile leur a fait découvrir que Dieu les aimait personnellement, qu’elles n’avaient pas à le craindre mais qu’elles pouvaient se confier et s’en remettre à lui. Ce qui n’est pas sans évoquer la découverte de Luther.
J’ai prêché en Kabylie au cours d’un culte qui a duré quatre heures. Il y avait quatre vingt participants dont seulement deux européens (une suissesse qui a épousé un algérien et moi). Le responsable kabyle qui le dirigeait a su très bien éviter les dérapages que j’ai un instant redoutés (et qui, m’a t-on dit, se produisent parfois ailleurs) : pas d’extases, ni de parlers en langue, ni de guérisons miraculeuses, mais des chants joyeux et fervents (accompagnés parfois de youyous), et des témoignages simples. Les responsables de l’E.P.A. ont conscience de la nécessité d’une formation théologique : ils organisent des sessions d’études (sanctionnées par des examens), et c’est un peu dans cette perspective qu’ils m’avaient invité. J’ai fait des exposés et conférences qui ont été suivis avec beaucoup d’attention par un public plus avide de réflexion que je ne l’avais imaginé.
Problèmes
L’Église Protestante d’Algérie, comme toutes les Églises, ne manque pas de problèmes. Je ne les ai certainement pas tous perçus. J’en ai repéré trois.
- La dépendance de l’étranger fait difficulté. Sans les personnes, les bâtiments et les finances fournis essentiellement par les méthodistes, mais aussi par les Réformés, l’E.P.A. ne pourrait pas vivre. On sent le désir « d’algérianiser » l’Église, ce qui ne signifie nullement en exclure les étrangers, mais conquérir une certaine autonomie. Objectif bien difficile avec les conditions économiques qui condamnent une partie de la population à la misère, et avec le manque de pasteurs formés (notons qu’un couple kabyle vient de terminer ses études à la Faculté de Théologie de Montpellier).
- Beaucoup s’interrogent sur l’attitude à adopter. Faut-il évangéliser de manière dynamique, avec les dangers réels que cela comporte dans un pays qui n’est pas une république islamique, mais où l’Islam est religion d’État ? Ne doit-on pas plutôt, selon le choix opéré par les catholiques, assurer une présence discrète et prudente, en mettant l’accent sur des activités plus sociales que religieuses ? C’est, bien entendu, aux algériens qu’il revient de trancher cette question difficile.
- Enfin, des groupes chrétiens de type sectaire, en général d’origine et à direction étrangères, présentent un véritable danger, non seulement parce qu’ils pourraient entraîner des communautés insuffisamment formées dans leurs dérives, mais aussi parce que l’image négative et agressive qu’ils donnent du christianisme risque d’entraîner des répercussions fâcheuses. On peut se demander d’ailleurs si certains ne sont pas manipulés à leur insu, et si les articles publiés à leur sujet dans la presse algérienne ne serviront pas, un jour, à justifier des mesures contre les chrétiens.
Jésus a demandé à ses disciples d’être prudents comme les serpents et simples comme les colombes. Voilà une parole qui s’applique particulièrement bien dans la situation des protestants algériens.
André Gounelle
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