Les livres Théologie

Henry Mottu : James H. Cone

Henri Mottu : James H. Cone – La théologie noire américaine de la libération – De Martin Luther King au mouvement Black Lives Matter, Olivétan, 159 p., 14 €

Henry Mottu est aujourd’hui à la retraite. Il fut pendant de longues années professeur de théologie pratique à la faculté de théologie de Genève. Les champs de sa recherche et de son travail sont nombreux : l’ecclésiologie, la mission, l’œcuménisme à travers le mouvement œcuménique, Karl Barth, etc. Il est théologiquement lié à Dietrich Bonhoeffer dont il a traduit ses prédications et sa correspondance « La Parole de la prédication » (Labor et Fides, 1992). Depuis toujours, il s’intéresse à la théologie américaine. En 2017, il publiait un ouvrage sur Reinhold Niebuhr, grande figure de la théologie américaine. Cette passion autour de la théologie américaine lui vient de son histoire et en particulier de l’époque, dans les années 1970, où il était lui-même enseignant au Union Theological Seminary de New York. Dans cette prestigieuse institution, il eut comme très proche collègue James H. Cone, le grand penseur de la Black theology. Les liens qu’Henry Mottu entretenait avec James H. Cone étaient particuliers : « Peut-être parce que j’étais un Européen de langue française, le dialogue avait été facilité, car nous sentions bien, à l’inverse, que ses relations avec ses collègues américains blancs étaient difficiles ».

James H. Cone est né le 5 août 1936 à Fordyce, en Arkansas. Il est mort le 28 avril 2018 à l’Union Theological Seminary de New York. Il est et restera celui qui a pensé théologiquement la question raciale aux États-Unis. D’autres, depuis, ont suivi son chemin. Il est le premier à avoir pensé et écrit sur la Black Theology et le black power (1969). Henry Mottu ne cache pas que dans un premier temps, il avait lui-même des difficultés avec l’idée d’une théologie noire : « La théologie n’était-elle pas une, universelle, univoque ?« , « Cette théologie ne reflétait-elle pas une introversion du racisme blanc, comme si les Noirs se devaient à tout jamais de haïr les Blancs ? ». En fait, les choses sont plus complexes, nous dit Mottu, « Le racisme ne cesse d’imprégner nos mœurs, notre langage, des deux côtés de l’Atlantique. James Cone est l’un des auteurs qui nous l’a révélé et nous a indiqué une chemin – un chemin couteux – pour le surmonter« . Pour Cone, la question du Black Power n’est pas seulement la question d’un combat politique, c’est fondamentalement une question d’attitude : « Le Noir doit passer de la haine de soi à une reconnaissance de soi ». C’est une question existentielle et c’est dans cette perspective que Cone va concevoir et penser une théologie noire de la libération : « La tâche de la théologie noire est d’analyser la condition de l’homme noir à la lumière de la révélation de Dieu en Jésus-Christ dans le but de créer une nouvelle compréhension de la dignité noire parmi les Noirs et de rendre son âme au peuple noir afin de détruire le racisme blanc » (Black Theology, J.H. Cone). La théologie noire de Cone est christologique. Pour lui, la clé de compréhension de l’Évangile se trouve dans Luc 4, 18-19 : « L’Esprit du Seigneur est sur moi parce qu’il m’a conféré l’onction pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres… » Jésus est celui qui incarne ce combat pour la libération de tous les pauvres. Jésus est noir. Pour Cone, dire que Jésus est noir, c’est dire que « Dieu n’a jamais laissé les opprimés lutter seuls ».

C’est un livre passionnant pour tous ceux de notre génération qui ont connu l’émergence des théologies de la libération et du Tiers Monde. C’est par ailleurs un livre extrêmement vivant. Henry Mottu nous livre « son » Cone. Le Cone qu’il a connu ; le Cone qu’il a aimé ; le Cone tel qu’il vit encore dans son propre univers de pensée et de recherche. C’est ainsi qu’on rencontre dans cet ouvrage les figures fondatrices de Martin Luther King, de Malcolm X, de James Baldwin et qu’au détour des pages on croise Karl Barth, Reinhold Niebuhr, Dietrich Bonhoeffer, Albert Camus, Georges Casalis, Serge Molla, Bruno Chenu. Je retiens également l’hymne rendu aux « Femmes noires ».  James Cone écrit à ce sujet : « Nous devons reconnaître que la foi des femmes noires les a rendues capables de transformer l’Amérique, non pas seulement pour les Noirs, mais pour tous les Américains, les hommes blancs inclus« .

En conclusion, Henry Mottu se demande : « Et maintenant, où allons-nous… Comme chrétiens ?« . Il offre quelques pistes : changer notre regard, veiller à notre langage, retrouver pleinement le sens de la donation d’un nom, se former au métissage de la pensée théologique. Dans ces conditions, il y a un espoir de s’en sortir, écrit-il : « L’avenir appartient à ceux et celles qui inlassablement prêcheront, prieront et agiront dans le sens du rassemblement. Il s’agira de rassembler plutôt que de diviser, de se reconnaître au lieu de s’épier et de juger, de s’informer plutôt que de ne rien vouloir savoir« .

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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