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Alain Arnoux : « Communion dans l’invisible ».

Me voici, en ce dimanche matin, devant mon ordi. Je devais aller prêcher quelque part en Ardèche. Hier soir, tard, alors que je mettais la dernière main à la préparation du culte, l’ordre est tombé de la part de notre conseil national : « Tous les cultes sont suspendus dès demain et jusqu’à nouvel ordre ». Toutes les rencontres d’Eglise sont annulées ou reportées. Même les services funèbres devront être célébrés dans l’intimité, les bénédictions de couple et les baptêmes reportés. Tout ce qui fait la vie ordinaire de notre société est suspendu ou limité. Aucun de nous n’a jamais vécu cela, sauf peut-être ceux qui ont connu des temps de guerre, ou des épidémies sur d’autres continents. Tout est inédit, sauf peut-être les vieux réflexes égoïstes de panique ou d’inconscience, qui remontent du fond des âges. Tout est inédit, comme le virus. Et notre société se découvre fragile, comme chacun de nous. On entend dire que cela va remettre en cause bien des manières de vivre, bien des stratégies économiques et politiques, qu’il y aura « un avant et un après coronavirus ». Permettez-moi d’en douter.

Un temps bizarre nous est imposé, nous ne savons jusqu’à quand. Il va falloir nous adapter. Un temps bizarre nous est imposé. Et si ce temps nous était – aussi – donné ? Donné pour nous faire réfléchir à notre manière de vivre, de travailler, de rencontrer les autres, de réfléchir, de prier… dans les temps ordinaires. Ce temps imposé, ou ce temps donné, que nous n’avons pas, d’habitude, ou que nous remplissons le plus possible, pour ne pas nous retrouver face au vide… ou à l’essentiel. Je pense à la prière de Michel Quoist : « Seigneur, j’ai le temps. J’ai tout mon temps à moi, tout le temps que tu me donnes, les années de ma vie, les journées de mes années, les heures de mes journées. Elles sont toutes à moi. À moi de les remplir, tranquillement, calmement, mais de les remplir tout entières, jusqu’au bord, pour te les offrir, et que de leur eau fade tu fasses un vin généreux, comme jadis à Cana, tu fis pour des noces humaines. Je ne te demande pas, Seigneur, le temps de faire ceci et puis encore cela. Je te demande la grâce de faire consciencieusement, dans le temps que tu me donnes, ce que tu veux que je fasse. » Et si cette sorte de sabbat imposé devenait une sorte de sabbat donné, pour que nous prenions conscience de la valeur des jours ordinaires, et de la valeur des sabbats, des dimanches ordinaires, que nous nous évertuons à remplir, et pas seulement de culte.

Nous voici donc sans assemblée dominicale, sans rencontre communautaire, jusqu’à nouvel ordre. Cela ne rompt pas la communion dans l’invisible. Peut-être pouvons-nous, dans chaque communauté, nous donner rendez-vous dans l’invisible, pour lire et méditer les Écritures en même temps avec les aides qui nous sont données, pour louer Dieu en même temps, prier en même temps les uns pour les autres et pour le monde… Et peut-être que cela pourrait devenir une habitude quand, pour une raison ou une autre, nous ne pouvons pas rejoindre l’assemblée. Peut-être que cela nous apprendrait à avoir une discipline de recueillement personnel plus forte, sans laquelle de toute façon nos vies communautaires sont languissantes. Oui, ce temps nous est peut-être donné pour renforcer dans l’invisible notre communion spirituelle, notre communion avec Dieu, notre communion fraternelle…

Nous voici donc sans assemblée dominicale. Je suis prêt à parier que cela va frapper les esprits de ceux qui ne se soucient pas habituellement de voir les lieux de culte ouverts le dimanche. Et sans doute l’impossibilité d’y célébrer des obsèques va-t-elle encore plus inquiéter, ou même scandaliser. Quand les Églises « fonctionnent » normalement, cela rassure, même si on ne s’y intéresse pas. Nos célébrations dominicales rassurent même ceux qui les ignorent. Elles sont encore le signe d’une Présence au milieu du monde (mais en sommes-nous conscients?) Leur absence serait-elle signe d’une Absence ? Ou pourraient-elles faire prendre conscience à notre société d’un silence auquel elle veut condamner Dieu, silence de Dieu qui est une de ses pires menaces dans la Bible ?

Ou encore : Dieu nous parle-t-il plus fort en ce moment, en venant perturber notre tranquillité et celle de tous les hommes par cette pandémie ? Dieu veut-il rappeler aux hommes qui croyaient avoir tout prévu et tout maîtrisé, qu’ils ne sont en fait maîtres de rien, même pas de leurs

inventions ? Dieu se sert-il des malheurs et des peurs pour venir casser les protections que nous mettons contre lui autour de nos vies et de nos secrets, comme Jésus le fait avec la Samaritaine ? Dieu se sert-il de cette pandémie pour contester les stratégies financières et politiques de ceux qui mènent ce monde, et pour leur rappeler sa loi ? Oui, Dieu parle-t-il plus fort en ce moment, puisqu’on ne l’écoute pas dans les temps tranquilles ? Peut-être. Je ne l’exclus pas, mais n’oserais pas le dire de manière trop assurée. Et bien audacieux qui le dira : personne n’est dans les secrets de Dieu, et je me méfie des propagandes de bas étage que les gens religieux sont capables de faire en se servant des malheurs des hommes, des épidémies, des tsunamis et des catastrophes de toute sorte. De toute façon, dès que cela va mieux, les hommes oublient et se dépêchent de retrouver leurs habitudes. Et dans les temps de malheur, les hommes savent encore très bien essayer de se mettre à l’abri de la parole de Dieu en se jetant dans le religieux, dans les temples et les rites, comme la Samaritaine quand elle essaie d’orienter Jésus sur la rivalité entre les temples de Jérusalem et du Mont Garizim.

Dieu parle-t-il plus fort en ce moment ? Je crois que l’important est de savoir que Dieu nous parle fort et qu’il parle fort à ce monde même dans les temps normaux et tranquilles. Et que l’homme essaie de se mettre à l’abri de sa parole, par la religion comme par l’indifférence. Entre Dieu et l’homme, celui qui n’écoute pas, c’est l’homme ; celui qui se cache, c’est l’homme ; celui qui n’exauce pas l’autre, c’est l’homme. Dieu parle-t-il plus fort en ce moment ? À nous oui, en tout cas. Pour nous dire que ce que nous confessons, proclamons et chantons en vase clos, dans les temps tranquilles, est vrai et reste vrai même dans les temps d’incertitudes et de peur ; que c’est vrai et que cela reste vrai pour nous, mais aussi pour tous, et qu’il faut le leur dire. Dieu parle-t-il plus fort en ce moment ? Peut-être à nous, pour nous rendre attentifs à ne pas faire de nos temples des bulles stériles à l’abri du monde, et de nos cultes des parenthèses dans la vraie vie ; pour nous appeler aussi à ne pas jouer à cache-cache avec Dieu dans les temps normaux ; enfin pour nous demander de faire entendre au monde qui nous entoure la forte parole que Dieu lui adresse en tous temps, dans les temps tranquilles comme dans les temps d’angoisse.

(Ces deux derniers paragraphes sont les deux derniers de la prédication que je devais donner ce matin, sur l’évangile du jour : Jean 4 / 1 à 52).

Très fraternellement à vous,
Alain ARNOUX, pasteur en retrait,

Dimanche 15 mars 2020

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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