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Ben Houmbouy : La Nouvelle-Calédonie : Entre une réponse institutionnelle et un choix du cœur ?

La perspective d’« Etre à la croisée des chemins », quant à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie, ne suppose pas la question : « Qui passera ? » mais n’appelle que celle-ci : « Comment traverser ensemble dans le stricte respect du code de la route ? »

Cette situation particulière, mais pas si originale qu’on pourrait le penser, fait partie du quotidien de tout citoyen de nation dite moderne et industrialisée. Synonyme souvent d’obstacle , elle ne pose pas pour autant une difficulté insurmontable. La connaissance et l’application des règles de la circulation, le savoir-vivre en société, permet de la franchir sans encombre. Mais ce n’est pas l’unique moyen de franchir l’obstacle. Nombre d’ usagers de la route  ne manquent pas de stratégies pour le contourner, l’important n’est-il pas de passer ? L’ image de « la croisée des chemins » paraît illustrer parfaitement la situation de la Nouvelle-Calédonie, à la veille du Référendum.

Beaucoup de Calédoniens se préoccupent – et les élus en première ligne –  déjà du lendemain du  référendum :  quel changement dans les relations quotidiennes ?  la paix qui a régné sur l’ensemble du pays grâce aux différents accords dont celui de Nouméa, résistera-t-elle aux réactions imprévisibles des militants  de tous bords ?…Le bon sens veut que l’on donne la priorité de notre attention, de toute notre attention à la question : «  Comment allons-nous ensemble traverser la croisée des chemins ? » Parce qu’il ne s’agit pas de se disperser et choisir plusieurs directions. Cette première étape – malheureusement très peu respectée dans la préparation du référendum – nécessite une connaissance, par les Calédoniens, de leur histoire.

« Connaître son histoire : un devoir incontournable ! »

Merci à Isabelle MERLE*  pour sa précieuse contribution pour le sujet qui nous intéresse! Un nombre non négligeable de citoyens considèrent la Loi, dans son sens général, comme un obstacle à leur liberté. Mais une connaissance approfondie des institutions de toute société démocratique permet au contraire d’affirmer que la Loi et la Liberté sont inséparables. Nul être social, membre d’une société constituée, ne peut se dire libre en se coupant des autres, en rêvant d’une existence en dehors de toute relation avec l’autre semblable. Car de deux choses l’une ,ou il est un dieu, ou il est un être dégradé.

Il est certes important de préciser que l’application de la dite loi, si juste soit-elle, nous autorise cependant de poser une question de vigilance : « La loi à tout prix et en toutes circonstances ? »

Pour répondre aux  interrogations concernant notre vécu de citoyen, une connaissance par tous de notre histoire commune est une démarche incontournable. Un impératif qui s’impose à tous,  Calédoniens qui aimons notre Caillou, mais également, et avec la même rigueur, vous ,citoyens Français de l’hexagone. La raison en est simple, depuis le vote par le Parlement de la loi du 30 mai 1854, la Nouvelle-Calédonie devient « une colonie de peuplement ». Par cet acte officiel, les bases de notre histoire commune sont posées. Que nous faut-il donc ensemble savoir ?

Chargée de recherche au CNRS, Isabelle MERLE, dans son livre « Expériences coloniales »( La Nouvelle-Calédonie (18533-1920)), nous apporte un éclairage des plus précieux sur cette histoire plus que particulière. Evitant, en professionnel, de confondre des convictions avec le savoir, elle nous permet de regarder notre histoire sans honte ni fausse pudeur. En cela, son approche , à la fois pédagogique et respectueuse de la liberté de pensée, peut nous aider ,et dans les conditions des plus favorables , à découvrir , non sans un sentiment de fierté, ce que nous sommes en réalité. Même si les apparences prêtent plutôt à moquerie !

Ainsi, apprenons-nous, par exemple,- ceci peut surprendre beaucoup de Kanak -, que malgré les 18000km qui séparent le Caillou de la France métropolitaine, nous, les habitants de ces deux belles contrées si différentes, partageons un héritage commun.

« Les uns considérés et protégés, les autres bannis et ignorés ! »

Votée par le Parlement (Second Empire) et fruit d’une législation pénale, la loi du 30 mai 1854 qui transforme la Nouvelle-Calédonie en colonie de peuplement, outre qu’elle soit une copie de la politique pénale de l’Angleterre, en avance dans le domaine, permet à la France « de garantir l’ordre social en de se débarrassant de ses indésirables ».Il s’agit de « séparer le bon grain de l’ivraie » !

Le peuple français de la Métropole est divisé en deux catégories de citoyens. Les uns vont garder le privilège  de bons citoyens , les autres en seront légalement privés.  Les uns font ainsi l’objet d’une considération et bénéficieront d’une protection ,les autres seront exclus et privés d’identité.

Au nom de la raison d’Etat et de l’intérêt national, la loi du 30 mai1854 -ayant pour fonction première de « purger » la France de ses éléments les plus viciés –la France condamne  « les transportés » à partager le sort des Kanak qui, à ses yeux n’existent pas. Ces derniers constituent, ce que Isabelle MERLE nomme « le point aveugle »de la politique que la France entend mettre en œuvre en Nouvelle-Calédonie.

Par la loi du 30 mai 1854 la France scelle officiellement  le destin  de « ses éléments viciés et criminels » à celui des Kanak qu’elle a délibérément ignorés au nom de la raison d’Etat. Etrange sort que celui de ce petit Caillou du Pacifique que la France décrète lieu d’exil pour les « sans statut ». Composée de Transportés  et de Kanak, des exclus et des ignorés, sa population est ainsi condamnée à ne jamais devenir un peuple. Tandis qu’elle veillera avec un soin particulier à la sécurité de ses bons citoyens.

Les Calédoniens « exilés »  sur le Caillou et les Kanak   obligés de partager leur espace de vie avec des culturellement différents, séparément ou ensemble, voilà l’impasse dans laquelle la France les a placés. Comment peuvent-ils en sortir ? Entre l’indifférence, la peur et le mépris, que peuvent-ils partager d’autre ? Tout les sépare ,et les habitudes aidant, ils se sont accommodés de cette « peine commune ». Quelle alternative possible à cette situation ?

Des voix s’élèvent , des plus autorisées aux plus légitimes, pour leur répéter inlassablement qu’ils ne sont pas faits ni ne peuvent vivre ensemble. Quel argument peut-on opposer à la raison d’Etat et à l’intérêt national ? Le« métissage » ? Surtout évitons d’en faire une justification à notre manque d’imagination. Mais à l’occasion, rappelons avec bonheur cet adage philosophique : « Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point ». Sans doute recèle-t-il une réponse originale à notre question :  Changer la condamnation en une libération !. Les exilés que la France ne veut plus en son sein, et les Kanak obligés de faire une place à ces étranges nouveaux venus, ne peuvent-ils donc  ensemble et de commun accord décider de « partager » le même espace de vie ? Rien, fondamentalement, qui leur empêche ce choix.

« Changer une condamnation en une libération ! »

C’est ce contrat , choix peu commun,  qui doit précéder le référendum. Merci à Michel Rocard pour avoir osé une démarche qui fait fi de « la raison d’Etat », non sans assumer pleinement sa responsabilité d’homme d’Etat, en même temps qu’il laissait clairement entendre aux Calédoniens leur entière responsabilité de leur avenir.

Accepter librement de « vivre ensemble », accepter de joindre deux destins si différents, pour franchir ensemble « la croisée des chemin » est l’unique alternative au référendum « couperet » ou à « répétition ». Plus qu’une preuve de courage et de clairvoyance, un tel choix est celui du cœur. Là où la raison érige des barrières pour stigmatiser et opposer les différences, le cœur se laissant ravir par la beauté de l’hôte oublie ses précautions d’usage ; là où la raison réveille le doute et la méfiance, terreau de la peur et du mépris, le cœur ouvre des mains pour prendre d’autres mains, blanches, noires, rouges ou jaunes.

« La raison du plus fort » ou « la loi du plus fort » est toujours la meilleure ! avons-nous appris et accepté comme un principe immuable. Nombreuses, en effet, pour ne pas dire toutes nos expériences nous le confirment tous les jours. La réalité est si déconcertante qu’abandonner tout combat revient à faire preuve de sagesse. Au contraire, quiconque persévérerait à refuser la fatalité pour croire à la paix et la fraternité entre les hommes serait pris pour un fou. L’exemple d’un Diogène confronté à ses concitoyens Athéniens formatés est significatif.

Le référendum : un palliatif ?

Le dictionnaire  nous donne pour « palliatif » la définition suivante :  «  un moyen provisoire de détourner un danger ». En Nouvelle-Calédonie, les alertes cycloniques provoquent toujours une certaine fébrilité et angoisse dans l’ensemble de la population. Nous pouvons en dire autant du  « référendum », ce rendez-vous institutionnel des Calédoniens pour choisir leur destin. La crainte des cyclones est cyclique , à chaque période donnée de l’année, on est averti des précautions à prendre, pour éviter de mauvaises surprises voire même des catastrophes. Pour le « référendum », l’inquiétude  qui ronge les Calédoniens est séculaire, elle dure depuis trente (30) ans , c’est-à-dire depuis qu’il a été programmé dans l’Accord de Nouméa. En réalité, cette peur qui gangrène la vie des habitants de cet archipel du Pacifique, est contemporaine de la  décision du gouvernement de la France de faire de la Nouvelle-Calédonie une colonie de peuplement.

Considéré sous cet angle, le référendum se mue en un « palliatif » inefficace. Si pour les dégâts causés par un cyclone, il nous arrive souvent de recourir à des réparations provisoires, il ne peut en être de même quand il s’agit de guérir une peur profonde qui vous fait perdre le sommeil. Pour cette catégorie de danger : « la peur de l’autre, le vis-à-vis, parce qu’il est différend… » le référendum, comme soin, est inefficace. Il ne peut, au mieux, qu’avoir un effet placebo .

L’inefficacité d’un produit ou d’un système n’entraîne certes pas nécessairement son rejet définitif. Il est des facteurs et circonstances qui expliquent cette inadéquation. Peut-être que le moment choisi  et le problème à résoudre ne conviennent pas à la solution choisie. Peut-être a-t-on, dans la précipitation, simplement sauté une étape clé de la démarche!

Accepter de vivre ensemble : une priorité !

A toute volonté de construire un destin commun, à tout rêve d’une communauté d’hommes et de femmes pour former un peuple, un préalable s’impose :répondre d’abord à cette question existentielle :« Souhaitez-vous vivre ensemble ? » C’est à la réponse à cette interrogation que le référendum se révélera utile ou palliatif.

La connaissance de notre histoire commune, Calédoniens du Caillou et Français de l’hexagone, nous permet de reconnaître le bien fondé de la démarche. Dans l’expression « Calédoniens du Caillou », comprenons les « transportés ou exilés » et les Kanak, quantité négligeable ». Dans le contexte du projet de faire de la Nouvelle-Calédonie une colonie de peuplement, ces deux groupes humains  sans identité occupent une place dérisoire. Leur cohabitation forcée visait non pas une éventuelle entente mais leur possible autodestruction.

Autant le système de la colonie de peuplement est un acte qui déshumanise, autant est inhumain de proposer à deux  groupes humains  « sans identité » de préparer leur destin commun par référendum. Ils ont besoin d’abord de retrouver leur identité perdue. « Une émigration forcée » et « une absence imposée » témoignent de leur négation. Or l’humain est naturellement un être relationnel. Pour être-là, des Do Kamo, ont besoin les uns des autres et d’une reconnaissance réciproque . Point n’est besoin ici de loi ou de référendum. Aristote classe ce besoin dans la catégorie des « naturels et nécessaires ».

Comprendre notre histoire, c’est pour chacun, se découvrir et s’accepter tel qu’on est. Ce premier pas décisif  étant celui qui met chacun en mouvement vers l’autre, en vue d’une rencontre pour partager ensemble ce qu’ils sont et ce qu’ils ont. C’est l’étape de la découverte et de l’acceptation de soi et de l’autre, celle qui libère de l’anonymat et de l’indifférence. C’est  ce face-à-face des hommes désormais libres qui donne un sens à tout référendum d’autodétermination. Une perspective ouverte  qui parie sur la bonté et l’intelligence de l’homme et nous donne à espérer que le dépouillement des bulletins , le soir de la consultation, nous révélera si notre choix a été ou non pertinent. Importe peu le nom du gagnant ! Conviction est non savoir : le débat est ouvert !

H.Beniela

À propos de l'auteur

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Ben Houmbouy

« La priorité est de se comprendre », tel était le titre d’une interview accordée en 1995. Le pasteur Béniéla Houmbouy (deuxième en partant de droite), 75 ans, est parti subitement à la suite d’une chute chez lui, dimanche à Ouvéa. Professeur de philosophie au lycée Do-Kamo à Nouméa avant sa retraite, l’homme de la tribu de Hnymëhë était un intellectuel kanak reconnu, respecté et apprécié. En parallèle, après des études de théologie, Ben Houmbouy était devenu pasteur, au Vieux Temple à Nouméa, ou encore à Tahiti durant six ans au lendemain des Evénements. « C’était un homme de valeur, avec des convictions fortes pour l’avenir du pays » a indiqué hier le pasteur Wakira Wakaine, président de l’EPKNC, l’Eglise protestante de Kanaky-Nouvelle-Calédonie.

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