Les livres Théologie

La racine qui te porte – Michel Leplay

La racine qui te porte – Michel Leplay, Cabedita, Ch Bière, 2018.

Il s’agit de la troisième édition d’un ouvrage de Michel Leplay portant sur la question que lui-même formule ainsi : « Comment est-il possible, puisqu’ainsi le salut vient des juifs (Jn 4, 22) que pendant deux mille ans de christianisme nous ayons été si peu chrétiens, tellement opposés au judaïsme, et aux juifs, de mille manières dont l’histoire de l’Église est blessée ? ».

Michel Leplay recherche une réponse à cette question, en visitant successivement les évangiles, Paul, les Pères de l’Église, les Réformateurs, et les Modernes. Dans les évangiles Jésus va jusqu’au bout du judaïsme. Par sa radicalité, il apparaît aux juifs comme blasphématoire. Chez Paul, Leplay trouve les traces d’une catéchèse risquée, « comme si la prédication de l’apôtre ne trouvait son originalité que dans la négation de toute spécificité durable du judaïsme ! ». Pourtant Paul est enraciné dans la promesse d’Israël. L’a. nous invite à relire à cet égard les chapitres 9 à 11 de l’épître aux Romains. Avec Pierre dans le livre des actes, jaillit la question christologique : Qui est donc cet homme : « Est-il le successeur de David qui a mis tous ses ennemis sous ses pieds, ou le Serviteur du Seigneur défiguré par la souffrance ? ». Ainsi naît l’opposition entre « le plus pauvre parmi les enfants d’Israël » et le « tout autre messianique », et l’auteur d’écrire : « Chaque fois que l’Église oublie l’humanité juive de son Messie, elle se fait tyrannique des nations ».

Le débat christologique que l’on trouve dans les actes se poursuivra tout au long de l’histoire de l’Église naissante avec les Pères de l’Église. Clément de Rome, Barnabé, Ignace d’Antioche, Justin Martyr, font partie de la première génération des Pères de l’Église. Ils sont donc les premiers à accueillir les écritures lues dans les synagogues dans la perspective d’un usage pastoral et ecclésial. D’une lecture juive des écritures, on passe alors à une lecture chrétienne. Barnabé « arrache la Bible aux juifs et lui met une étiquette chrétienne » (Campenhausen).

Viennent ensuite les crises au sein de l’Église des premiers siècles. La gnose fait de Jésus un être exceptionnel et sans histoire. La gnose déjudaïse les écritures. C’est Marcion qui pousse le plus loin l’opposition entre la religion juive et la pensée grecque. Il diabolise le Dieu des juifs. « Le recueil des Écritures chrétiennes qui n’est pas encore constitué est menacé de génocide généalogique ». Irénée apporte toutefois une réponse à Marcion. Il refuse le génocide biblique de Marcion et impose une généalogie biblique chrétienne. Il prend du même coup le risque d’une distanciation entre l’Église et le judaïsme. Cette distanciation se trouve amplifiée par la traduction de la Bible hébraïque en grec. Avec la « Septante » se creuse davantage le fossé entre les « deux climats linguistiques ». Au tournant du V° siècle, le fossé culturel s’élargit et avec Chrysostome, il tourne carrément à la polémique anti-juive. « Il traite les juifs d’hostiles à Dieu, de déicides, de « tueurs de Dieu ».

Ainsi, l’Occident est devenu chrétien. L’Islam est certes resté l’ennemi numéro un, mais avec les croisades, papes et souverains ont régulièrement tenté de convertir les juifs. « L’Église prend alors la parole non pour annoncer l’Évangile, mais pour dénoncer le peuple juif… L’Église prend la parole et la coupe de ses racines… »

Luther quant à lui, est plus qu’ambigu sur la question juive. Il est pourtant pétri de littérature hébraïque. Il aime tant les psaumes. Mais dans la dernière partie de sa vie, il devient franchement hostile envers tous « les ennemis de la foi chrétienne, turcs, juifs, et autres papistes et illuminés ». Il se laisse aller dans ses derniers sermons « aux invectives d’un antisémitisme primaire ». Calvin fait probablement preuve d’une intuition spirituelle plus originale. Il différencie les deux testaments mais les comprend dans une perspective d’unité et d’accomplissement.

Avec la modernité, la pensée se détache petit à petit des racines juives et chrétiennes. Avec Pascal, Bayle, Renan, Gide, les questions existentielles se posent désormais et de plus en plus « en termes d’ordre philosophique, de raison affranchie de la religion, et de liberté de conscience hors des normes ecclésiastiques ».

Après Auschwitz, après Barth et le combat de l’Église confessante, l’auteur reconnaît qu’un climat œcuménique nouveau permet d’envisager l’avenir sous « l’horizon des réconciliations« . Le poète Edmond Fleg (Écoute Israël), l’historien Jules Isaac ont beaucoup compté pour construire les fondements d’une culture de l’estime en juifs et chrétiens. D’autres prendront la suite et permettront de créer « une méditation juive et une mémoire biblique remontant à travers le Talmud de la Shoah à Abraham ». Citons Fadiey Lovsky, Franz Mussner, André Neher, Émile Fackenheim, Franz Rosenweig, Saül Friedländer, Elie Wiesel, Marek Halter. Cet esprit des réconciliations conduit heureusement les Églises, (Conseil œcuménique, Vatican II) à des revirements salutaires et à envisager un « œcuménisme qui (désormais) ne se fera plus sans Israël ».

Superbe livre de Michel Leplay. Un parcours subtil et élégant à travers l’histoire la pensée occidentale et théologique sur la question juive. À lire !

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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