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Charles Emmanuel Njiké

Nous avons appris avec une infinie tristesse le décès du pasteur Charles Emmanuel Njiké, survenu le 10 janvier 2022, à Douala. Pour beaucoup au Cameroun, en Afrique, en Europe, il était un repère, une figure, qui symbolisait tout à la fois la sagesse, l’expérience, la fidélité, l’attachement, et l’enracinement dans la très belle nouvelle de la grâce de Dieu.

Sa vie a été riche, dense, longue. Dans deux ou trois années il eût été un centenaire. Ce qui est extraordinaire, c’est que jusqu’au bout il est resté debout en défendant des valeurs de dialogue, de réconciliation, de pardon, de gratuité. Il y a tout juste un mois, le 15 décembre dernier, il présidait à Yaoundé, un synode extraordinaire de l’Église Évangélique du Cameroun qui, il y a cinq ans, s’était divisée à la suite del’élection contestée du pasteur Hendje Toya à la présidence de l’Église. On était venu le chercher, lui le sage de l’Église, pour qu’il fasse renaître le dialogue là où il n’y avait plus que tumulte, pour qu’il mette de l’apaisement là où il n’y avait plus que colère. Charles Emmanuel Njiké ne se répandait pas beaucoup en paroles. Il était plutôt de la famille des taiseux. Alors patiemment, il a consulté, il a rassemblé, et surtout il a écouté. C’est ainsi que dans le grand tumulte des ressentiments, il a su renouer des fils autour desquels petit à petit la confiance a pu, à nouveau, laisser une place à l’espérance. Le synode de Yaoundé fut un véritable succès de cette démarche construite dans la patience et dans l’écoute. Les décisions ont en effet donné une chance à la réconciliation ! J’ai eu l’occasion de converser avec lui, au lendemain de ce synode. Il évoquait alors sa très grande fatigue, mais je retiens surtout ses mots pour dire la joie qu’il éprouvait : « Les résultats sont allés au-delà de mes espérances ! ».

Avec le décès de Charles Emmanuel Njiké, disparaît un tout dernier témoin d’une histoire qu’on ne connaîtra plus désormais qu’à travers les livres des historiens. Il a en effet connu l’Église au Cameroun du temps des missionnaires. Il évoquait parfois cette époque pour en souligner son caractère baroque. Les différences étaient alors marquées au point qu’il y avait d’un côté la Conférence des missionnaires et de l’autre côté l’Église, pasteurs consacrés compris, et ceci dura jusqu’au lendemain de la Deuxième guerre mondiale. Il en parlait sans acrimonie mais il le soulignait quand même. Avec le mouvement d’autonomie des Églises et la décolonisation qui s’en est suivie, il fut un de ceux qui ont accompagné le changement en donnant à toutes ces mutations un sens éminemment théologique. Avant même que la Société des Missions de Paris ne soit dissoute en 1971, il participait, à la fin des années 1960, à l’Action Apostolique Commune (AAC) du Poitou qui fut l’une des actions, avec l’AAC du Bénin, annonciatrices de la grande communauté d’Églises en mission que l’on a appelée, la CEVAA. Il s’agissait alors d’une très belle utopie ecclésiale qui avait pour but de donner à l’action missionnaire une dimension « internationale, interraciale et interconfessionnelle ».

L’engagement de Charles Emmanuel Njiké dans l’AAC du Poitou lui a donné une belle et forte dimension œcuménique. Il lui a en outre permis de tisser avec le protestantisme français des liens d’attachement qui ne se sont jamais démentis. Il parlait toujours de Jacques Maury qui était, à l’époque de l’AAC, pasteur dans le Poitou, comme du « grand Jacques ». C’était de sa part, une appellation empreinte de respect et d’affection. Dans son ministère au Cameroun, il a ensuite été nommé dans de nombreux postes à haute responsabilité. Il a enseigné à l’École pastorale de Ndoungué, il fut secrétaire général de l’Église Évangélique sous la présidence du pasteur Jean Kotto avant d’en devenir lui-même son président. C’est alors qu’il fut nommé président de la CEVAA. Il n’hésita pas, à accompagner cette institution dans le sens des changements indispensables et nécessaires.

La disparition de Charles Emmanuel Njike devait certes un jour advenir, mais c’était bon de le savoir dans la communauté des vivants et de le savoir toujours fidèle à ce qu’il était. Il a jeté dans la réconciliation de son Église toutes les forces vitales, intellectuelles, spirituelles, qu’il lui restait. C’est un geste-cadeau qu’il a offert à toutes ses sœurs et à tous ses frères du de l’Église Évangélique Cameroun mais au-delà du Cameroun c’est une geste-message pour ses sœurs et ses frères en humanité pour dire que le pardon et la réconciliation sont tellement plus préférables que la violence et la division. Alors, reconnaissance à Dieu pour son parcours sur la terre des humains ! Reconnaissance pour tout ce qu’il nous a donné. Pour ma part, je suis aujourd’hui triste parce que j’ai vraiment aimé cet homme !

Alain Rey

À propos de l'auteur

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Alain Rey

Directeur de la publication Hier & Aujourd'hui
Pasteur de l'EPUdF
Études à Montpellier, Berkeley et Genève
Pasteur à Fleury-Mérogis, Mende, au Defap et à la Cevaa

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